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Simonne Mathieu un destin inattendu

2024 sera une grande année sportive. Bien sûr les Jeux Olympiques de Paris vont bientôt se dérouler et attirer les regards du monde entier. Cependant en ce moment, Paris est le centre du monde tennistique. Le tournoi de Roland-Garros1 fait la une de l’actualité et pendant 15 jours nous avons entendu des noms tels que « court Philippe-Chatrier2 », « court Suzanne-Lenglen3 » … Et depuis 2019, il existe le « court Simonne-Mathieu ». Tous ces noms sonnent à nos oreilles sans vraiment savoir à quoi ils correspondent. J’ai décidé aujourd’hui de me pencher sur l’histoire de Simonne Mathieu, grande joueuse de tennis mais pas seulement…

Enfance de Simonne Passemard

La petite Simonne Passemard (avec deux n) nait le 31 janvier 1908 dans une famille de la bourgeoisie de Neuilly sur Seine. Elle est la fille de Gaston Passemard banquier d’affaire au comptoir national d’escompte de Paris4 et d’Alice Melchior qui est sans profession. Simonne a une sœur et un frère qui sont ses aînés. Antoinette sa sœur deviendra religieuse et missionnaire. Quant à Pierre, son frère, il sera professeur de tennis après avoir été un joueur classé.

Acte de naissance de Simonne Passemard
Acte de naissance de Simonne Passemard (source : AD de Paris 1908)

Quand elle n’a que 6 ans son insouciance vacille car son père est mobilisé et doit partir combattre. Elle ne le reverra qu’en 1919 quand il sera démobilisé le 1er janvier.

La petite Simonne grandit au sein d’une famille unie mais angoissée par le sort du patriarche. Cela l’atteint-il physiquement ? toujours est-il que la petite Simonne a une santé fragile.

Afin de lui changer les idées et de lui refaire une santé, le médecin de famille conseille à sa mère de lui faire pratiquer un sport. Cela n’est pas courant à cette époque et encore moins pour une fille. Comme son frère joue au tennis, elle décide de l’accompagner, ainsi naitra sa vocation.

La rencontre avec le tennis

Simonne qui devait pratiquer un sport pour prendre l’air et reprendre des forces, se montre particulièrement douée pour le tennis. Elle qui commence ce sport à l’âge de 12 ans se retrouve à faire des championnats à 15 ans.

Elle sera entrainée par son frère qui fera d’elle une petite championne. En effet, de 1923 à 1925 elle remporte les championnats de France junior.

Elle rejoint ensuite le circuit classique où règne une certaine Suzanne Lenglen. Cette dernière est très aimée du public qui la surnomme « la divine » autant pour ses résultats que pour la classe dont elle fait preuve sur le terrain. Sa rivale n’est donc pas la bienvenue et Simonne, qui a une carrure plus massive et un franc-parler reconnu, devient la mal-aimée.

Simonne Mathieu et Suzanne Lenglen photo officiel Roland-Garros 1926 – Agence Rol

Cependant, ses résultats parleront d’eux-mêmes et son courage et sa détermination vont conquérir le cœur du public.

De 1929 à 1937 elle atteindra 6 fois la finale de Roland-Garros sans soulever la coupe. Ce sera finalement le cas en 1938. Cette année-là elle remporte également le double-dame et le double-mixte, triplé qui reste encore inédit à ce jour tant au niveau des hommes que des femmes. Elle renouvelle cet exploit en 1939 où elle remporte de nouveau le simple-dame et le double-dame. Au total de 1933 à 1939, elle remportera 10 titres dans ces 3 catégories aux internationaux de Paris.

Article de presse du journal "l'auto-vélo" du 12 juin 1938
Article de presse du journal « l’auto-vélo » du 12 juin 1938

Elle gagnera 4 titres de grand chelem5 et elle est à ce jour la deuxième française derrière sa grande rivale Suzanne Lenglen.

En 1939, elle a parcouru le monde pour participer à des centaines de tournois. Des États-Unis à l’Égypte, de l’Inde à l’Europe de l’est… En presque 15 ans, elle visite plus de la moitié du globe la raquette à la main.

En 1939 elle est donc au sommet de sa carrière.

De Simonne Passemard à Simonne Mathieu

Simonne a beau vivre une passion dévorante pour le tennis, elle n’en oublie pas pour autant sa vie privée. En 1925, à 17 ans, elle épouse René Mathieu. René est le créateur de la revue Smash, et il est le président de la Commission « Presse et Propagande » de la fédération française de tennis. Il est le fils de Maurice Mathieu, fondateur et secrétaire général du Stade Français.

Comme elle, René est un passionné de sport et tout particulièrement de tennis mais aussi de rugby et de badminton.

Simonne Mathieu entourée de ses deux fils au tournoi de Roland-Garros journal "l'auto-vélo" 1936

Ensemble, ils ont deux fils : Jean-Pierre né en 1927 et Maurice né en 1928. Malgré ses grossesses successives, Simonne continue sa carrière sur les courts internationaux. Elle n’a que 20 ans à la naissance de son deuxième fils.

Simonne Mathieu entourée de ses deux fils au tournoi de Roland-Garros (source : journal « l’auto-vélo » 1936)

Pour la petite anecdote un journal la prendra même en exemple pour sa capacité à garder sa ligne et son tonus après ses grossesses. Cet article ferait aujourd’hui bondir n’importe quelle féministe, mais à l’époque personne n’est choqué.

Article sur Simonne Mathieu (source Le Journal du 2 février 1932)
Article sur Simonne Mathieu (source Le Journal du 2 février 1932)

Pour elle, c’est une nouvelle vie de famille à construire qui débute mais pour rien au monde, elle n’abandonnerait les courts de tennis et les compétitions. 10 ans plus tard en août 1939, forte de sa dernière victoire à Roland-Garros, elle part pour les États-Unis. Là-bas elle compte participer au championnat d’Amérique. Elle arrive à New York et se rend directement au centre d’entraînement de Forrest-Hill6

Lors de ses matchs, elle n’hésite pas à contester les jugements de l’arbitre et elle considère le joueur d’en face non pas comme un adversaire sportif mais comme un ennemi. Elle n’est pas s’en rappeler le style d’un certain McEnroe7 connu lui aussi pour ses coups de sangs sur le terrain quelques décennies plus tard.

Simonne a une forte personnalité sur les cours et ce caractère lui servira par la suite.

Portrait officiel de Simonne Mathieu (source : Agence Rol)

Simonne Mathieu s’engage pour son pays

Au moment où elle franchi les portes de l’établissement de Forrest-Hill, la France et la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne. Simonne est au summum de sa carrière. Elle a une petite famille qui l’attend en France. Mais qu’importe, pour elle il est inconcevable de ne rien faire. 

En quelques instants, elle va décider de prêter main forte à ce qui reste d’indépendance à son pays. Mais concrètement, que faire?

Sa priorité est de quitter les États-Unis et de regagner la France. Sur le chemin du retour, la joueuse fait escale à Londres. Elle y passe quelques jours et c’est là qu’elle va prendre conscience des opportunités que lui offre cette ville. 

La championne décide donc de poser ses bagages sur les bords de la Tamise. Elle va commencer une nouvelle vie, loin de son mari et de ses enfants.

La jeune femme veut se rendre utile. Elle commence par être conductrice puis traductrice dans l’armée française, ses tournois internationaux lui donnant une aisance pour les langues étrangères.

Le tournant de l’histoire

En France, c’est la détresse totale.  Le 16 juin 1940, on apprend que le maréchal Philippe Pétain8, partisan de l’armistice, devient le nouveau chef du gouvernement. 

Des millions de civils français sont sur les routes de l’exode9 pour fuir l’avancée allemande.

Une seule personnalité a fui la France pour s’exiler à Londres et essayer de continuer le combat. C’est Charles de Gaulle10. Ce général rebelle et détesté par le régime de Vichy11, est condamné à mort par contumace. Le 18 juin 194012 alors que l’armistice vient d’être signé, il prend la parole sur les ondes de la BBC13

Pour voir le texte complet de l’appel du 18 juin 1940 par le Général de Gaulle sur la BBC, Cliquez-ici ⏏

« Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat.

Certes, nous avons été, nous sommes submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l’ennemi.

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd’hui.

Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non!

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Je vous le dis, elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis.

Cette guerre n’est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Elle n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialisés des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Quoi qu’il arrive, la Flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. Demain, comme aujourd’hui, je parlerai à la radio de Londres. »

L’appel du 18 juin est l’acte fondateur de la résistance française. Quelques jours plus tard sont crées les Forces Françaises Libres (FFL14). C’est une armée irrégulière sous les ordres du Général De Gaulle. Ce sont les débris des forces navales, terrestres et aériennes qui souhaitent continuer le combat. Bien évidement ce sont essentiellement des hommes. De son côté Simonne veut combattre elle aussi auprès de cette armée et se rapproche de De Gaulle.

Simonne Mathieu entre en guerre

Simonne propose alors son aide au Général. Le problème c’est que De Gaulle voit d’un mauvais œil la présence de femmes dans l’armée. Il est réticent à l’idée que ce soit elles qui prennent les armes. Winston Churchill15 quant à lui, estime qu’il existe déjà une armée féminine en Angleterre et qu’il n’y a pas besoin d’en avoir une seconde. Mais depuis deux ans, la loi française a changé à ce sujet et les femmes vont revendiquer le droit de combattre. Le 11 juillet 1938, on avait promu un texte pour compenser le déficit d’hommes dans l’armée française. Pour la première fois, elle autorise la présence des femmes dans ses rangs. 

C’est ainsi que Simonne Matthieu propose ses services à l’armée des Forces Françaises Libres. La jeune femme est sûre qu’elle peut apporter quelque chose, qu’il y a une mission spécifiquement féminine à accomplir pour la défense de la France. De Gaulle va entendre cette volonté et cette détermination. Il va donc charger Simonne Mathieu de mettre sur pied un corps de volontaire féminine constitué sur le modèle de l’armée anglaise, l’ ATS16 (Auxiliary Territorial Service). De Gaulle souhaite ainsi qu’il y ait des volontaires françaises qui soutiennent les combattants de la France libre.

(source journal France d’abord du 5 novembre 1941)

Création du Corps de Volontaires Françaises17

Au sein du quartier général des forces françaises libres, Simonne Mathieu va travailler d’arrache-pied pour constituer ce corps de volontaire. Celui-ci, appelé CVF (Corps des Volontaires Françaises) est composé pour l’essentiel de femmes françaises résidant en Angleterre dans la région de Londres. La priorité est de recruter le maximum de volontaires entre 18 et 45 ans. Simonne passe des annonces dans les journaux, fait jouer le bouche-à-oreille… Elle cherche des profils destinés à dégager les combattants des taches civiles : des conductrices, des mécaniciennes, des infirmières, des médecins, des secrétaires… Finalement, ses recherches sont fructueuses. Comme elle, il existe de nombreuses femmes déterminées à combattre pour la France. 

Simonne Mathieu lance un appel aux femmes de France ( source : 31 décembre 1940 journal France)

Parmi les missions de ces volontaires, si certaines sont affectées à la surveillance des toits de la ville pour prévenir en cas d’attaque de bombardiers pendant le Blitz18, d’autres vont entrer dans les services de renseignements.

Ces dernières vont ainsi signer un engagement qui va les obliger parfois à devenir crypteuses ou même à revenir sur le territoire français comme agente infiltrée. 

Rôle de Simonne dans les CVF

Simonne, quant à elle, en créant le 7 novembre 1940, le corps des volontaires françaises va se dédier d’abord à la tâche d’encadrement. 

En effet, son unité regroupe des femmes qui servent dans toutes sortes d’administrations ou de corps militaires. En revanche, elles se retrouvent dans leur caserne le soir et vivent une existence commune de militaires. Voici comment Jeanne Bohec19, une des subordonnées de Simonne Mathieu a décrit la vie en communauté :  

« Tôt le matin après l’appel et le petit déjeuner, deux fois par semaine, nous faisions l’exercice dans les rues avoisinantes. Nous croisions parfois des équipes de Home-guard apprenant eux-aussi les manœuvres militaires. Puis c’était la dispersion, chacune se rendant à son travail.  Les unes étaient secrétaires dans les différents services des FFL, d’autres étaient conductrices, infirmières, secrétaires… occupant tous les postes où il était admit qu’une femme pouvaient remplacer un homme ».

Jeanne Bohec
Volontaires du CVF (source : journal France-Amérique du 5 septembre 1943)

Voici donc le rôle de Simonne Mathieu, faire face aux imprévus du conflit, comme en ce jour du 18 avril 1941. Ce matin là, une bombe touche la caserne du corps des volontaires féminines à Londres. Les combattantes s’y entraînaient. Simonne se précipite et vient au secours de ses recrues, mais l’une d’entre elles a perdu la vie. Dix autres sont blessées. 

Cependant, Simonne ne fléchit pas. Son fort caractère lui permet de redresser l’équipe. Tout le monde s’accorde à dire qu’elle a un mauvais caractère mais qu’elle est d’une amitié merveilleuse. Si bien que de lieutenant, elle atteint bientôt le grade de capitaine. 

Peu à peu, l’idée d’intégrer davantage les femmes dans la section combattante fait son chemin. Ainsi le 16 décembre 1943 à la radio sur la BBC, Maurice Schumann20, porte-parole de la France Libre, les invites à prendre leur place au rang des combattants. Il dira :

« Dans la guerre de 14-18, la femme a donné des centaines d’héroïnes à la liberté. Pour la première fois, dans cette guerre, elle lui a donné des centaines de milliers de combattantes ». 

Maurice Schumann

Simonne Mathieu au BCRA21

Simonne Matthieu parvient à remplir la mission que le Général De Gaulle lui a confiée en 1940. Cependant, elle va changer de poste un an plus tard. En effet, en décembre 1941, elle est affectée au BCRA (Bureau Central de Renseignements et d’Actions des services secrets français). 

Son siège est à Londres, mais c’est un organe capital de la France Libre. Il a été voulu en partie par Churchill qui l’a demandé au Général De Gaulle afin de renforcer les services de renseignements britanniques. C’est André Dewavrin22 connu dans la clandestinité sous le nom du « colonel Passy » qui a créé ce bureau dont l’objectif est d’installer des réseaux en France pour rapporter du renseignement stratégique. Or, dans cette tâche, la présence de femmes est nécessaire à la fois pour les envoyer sur le terrain comme éventuel agent de renseignement mais aussi à Londres pour servir dans les bureaux, notamment au décryptage. C’est l’une des tâches dont sera chargée Simonne Matthieu. L’une de ses recrues, toujours Jeanne Bohec, est une chimiste de formation. La BCRA la recrute également.

Voici comment elle décrit son action :

« Arrivée à Londres, j’ai appris l’existence du général de Gaulle et des FFL. Je m’engageais alors dans le corps féminin, des volontaires françaises. D’abord comme secrétaire puis comme chimiste dans un laboratoire, j’étudiais la fabrication artisanale d’engins de sabotage. Dès 1942, je demandais au bureau central de renseignement et d’action de partir pour la France instruire les résistants de nos petites recettes. Je finis par être acceptée en septembre 1943. Je suivis alors des stages de formation dans les écoles anglaises spécialisées, école de sabotage, de sécurité et de parachutage. Chargée de mission d’instructeur de sabotage pour la Bretagne avec le pseudo « râteau » je suis parachutée en France le 29 février 44 ».

Jeanne Bohec

Simonne Mathieu, femme de caractère

Une chose étonne.  Pourquoi Simonne Mathieu qui a été cheffe de corps, se retrouve à un poste beaucoup moins prestigieux au sein du BCRA  ?

Comment expliquer ce changement? 

De Gaulle et ses proches ont-ils quelque chose à lui reprocher ?  La rumeur voudrait que Simonne Matthieu aurait refusé de se plier à un ordre stipulant que ses subordonnées ne devaient en aucun cas avoir de relations avec un homme gradé. L’affaire n’est sans doute pas vraie. 

C’est plutôt son caractère qui lui a peut-être joué des tours dans les relations avec ses supérieurs masculins. Quoi qu’il en soit, à la fin de l’année 1942, à la suite du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, la France Libre change de visage. Elle commence à avoir un territoire plus vaste et elle entreprend d’intégrer les femmes combattantes dans le cadre de la reconstitution d’une armée de masse. 

À cette date, le Corps des Volontaires Françaises libres comptait 400 membres. En juin 1943, on sait que Simonne Mathieu se rend à Alger aux côtés du général de Gaulle. Pendant que le chef de la France Libre se consacre à la création du comité français de libération nationale, la jeune femme devenue capitaine travaille sur les réseaux d’espionnage au sein du BCRA. 

Sa promotion montre son utilité au sein de ces services. Il sera essentiel dans la préparation du débarquement et dans la libération de la France. 

Le retour sur le sol français

Le 26 août 1944, Simonne Matthieu défile aux côtés du général de Gaulle sur les Champs-Élysées. Cet honneur montre évidemment la reconnaissance de la nation pour ses services durant les quatre années précédentes. 

Simonne Mathieu défilant derrière le Général De Gaulle le 26 août 1944 sur les Champs-Élysées à Paris (source journal "Défense de la France" du 27 août 1944)
Simonne Mathieu défilant derrière le Général De Gaulle le 26 août 1944 sur les Champs-Élysées à Paris (source journal « Défense de la France » du 27 août 1944)

Trois semaines après son entrée dans Paris, elle arbitre le match de réouverture du tournoi de Roland-Garros. En effet, depuis son dernier match en 1939, le lieu a beaucoup changé. En 1940, ce site est devenu un camp d’internement pour les personnes jugées « indésirables » par l’occupant et le régime de Vichy. Ces prisonniers seront ensuite envoyés dans différents camps en Allemagne ou plus à l’Est, la plupart d’entre eux ne sont pas revenus. De 1941 à début 1944, les courts de tennis rouvrent et les tournois reprennent mais seuls les joueurs et joueuses françaises sont autorisés à y participer. Heureusement, Simonne exilée à Londres, ne verra pas ce lieu si cher à son cœur transformé ainsi.

Elle arbitre le match de la libération à Roland-Garros le 17 septembre 1944 en uniforme de l’armée. Pour la petite anecdote, c’est dans ce même uniforme qu’elle est entrée dans Paris le 26 août 1944 auprès du Général De Gaulle. Quand on lui demande d’arbitrer ce match, elle hésite et répond « on s’est peut-être trop précipité à m’investir arbitre de ce match, je ne saurais peut-être plus compter les points depuis le temps ». Elle accepte finalement et elle arbitre le match opposant l’ancien champion Henri Cochet au jeune Yvon Petra sur le central de Roland-Garros. La presse couvrira largement cet évènement.

Simonne Mathieu arbitrant le match de la Libération (Source : France Soir 19 septembre 1944)
Simonne Mathieu arbitrant le match de la Libération (Source : France Soir 19 septembre 1944)

Retour du tennis dans la vie de Simonne Mathieu

À la fin de la guerre, pourtant, Simonne Matthieu n’occupe aucune place dans l’organigramme du gouvernement provisoire dirigé par De Gaulle.

La championne n’a jamais vraiment rêvé d’une carrière politique. Elle souhaite plutôt retrouver sa famille et puis bien sûr le tennis français. À 36 ans, elle ne rejouera jamais les internationaux de France, mais elle va rester dans le monde sportif.

Tout d’abord, en 1948, elle travaille avec Jules Ladoumègue23 à la S.T.S. (Sport – Tourisme et Spectacles) située chaussée D’Antin à Paris. Cette agence propose notamment des billets pour des évènements sportifs. On peut même trouver certains articles ou publicités sur ce sujet dans la presse de l’époque.

(source : journal l’intransigeant du 15 octobre 1948)

En 1952, le comité national des sports la nomme présidente de l’Amicale des sportives françaises.

Elle devient ensuite capitaine de l’équipe de France féminine de tennis de 1949 à 1960 puis sera présidente de la commission féminine à la FFT (Fédération Française de Tennis). Françoise Dürr24, qui a eu Simonne Mathieu comme capitaine en sélection française en 1967, témoigne :

« C’était une femme extraordinaire. Ah, elle n’était pas commode ! Elle avait un fort tempérament, un caractère militaire ».

Françoise Dürr

Les dernières années de Simonne Mathieu

Malgré ce fort caractère, toujours alerte, souriante et rieuse, elle réussit à reprendre sa vie d’avant.

Simonne Mathieu a été nommé chevalier de la légion d’honneur en 1953 et elle a reçu la médaille de la résistance française en mars 1947 des mains du Général De Gaulle lui même.

Le Général De Gaulle décorant Simonne Mathieu en mars 1947 pour ses services dans la résistance (source : journal France-Soir du 4 avril 1947)

Elle fait sa dernière apparition publique le 11 juin 1978 à l’occasion du cinquantenaire de la construction du stade Roland-Garros.  

Photo de la Chapelle de la famille Passemard au Père-Lachaise où est enterrée Simonne Mathieu

Après une longue carrière et une belle vie, Simonne s’éteint le 7 janvier 1980 à Chatou en région parisienne. Elle est enterrée au cimetière du Père-Lachaise à Paris.

Photo de la Chapelle de la famille Passemard au Père-Lachaise où est enterrée Simonne Mathieu

Mais il fallait encore faire connaître son incroyable contribution à la Seconde Guerre mondiale et à la Résistance française. C’est en 2017 que finalement, la mairie de Paris a donc décidé de baptiser un des cours de Roland-Garros en son honneur. Une manière de porter en lumière le combat qu’elle avait mené dans le monde. 

Court Simonne Mathieu à Roland-Garros (source : photo personnelle)

26 ans après son décès, le tennis va lui rendre un véritable hommage en la faisant entrer dans le Tennis Hall of Fame, musée près de Newport aux États-Unis qui rassemble les noms des plus grands joueurs mondiaux. 

D’autres hommages populaires ont été rendus à Simonne Mathieu à travers le monde, vous pouvez en voir ici deux exemples.

Page de Simonne Mathieu sur le site du Tennis Hall of Fame https://www.tennisfame.com/hall-of-famers/inductees/simonne-mathieu
Timbre à l’effigie de Simonne Mathieu République de Côte d’Ivoire1996

Tous les ans, le nom de Simonne Mathieu résonne dans les allées de Roland-Garros. Que ce soit dans les micros des commentateurs, dans les discussions des aficionados du tennis et des joueurs… son nom est partout. Elle a marqué ce sport comme elle a marqué l’histoire de France. Ce modeste hommage est bien peu de chose à côté de l’extraordinaire destin de cette jeune fille. Issue de la bourgeoisie parisienne, elle aurait pu mener une vie simple d’épouse au foyer comme la plupart des jeunes femmes de son époque. Elle a pris son destin à bras le corps et en a fait un combat pour la liberté, la sienne mais aussi celle de son pays.

  1. Les Internationaux de France, ou tournoi de Roland-Garros, ou plus simplement Roland-Garros, est un tournoi de tennis annuel sur terre battue. Il a été créé en 1891 sous le nom de Championnat de France de Tennis, et se déroule dans sa forme actuelle depuis 1925. Il se tient depuis 1928 à Paris, dans le stade Roland-Garros la deuxième quinzaine du mois de mai. ↩︎
  2. Philippe Chatrier (1928-2000) ancien champion de tennis français devenu journaliste et dirigeant sportif. ↩︎
  3. Suzanne Lenglen joueuse de tennis français, née le 24 mai 1899 à Paris, où elle est morte le 4 juillet 1938. Surnommée « la Divine », elle fut la première star internationale du tennis féminin ↩︎
  4. Le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP), une des banques ancêtres du groupe BNP Paribas, est créé par décret le 10 mars 1848. Cette création se fait, comme celle du Comptoir national d’escompte de Mulhouse au même moment, dans un contexte de révolution industrielle, de crise économique et de révolution bancaire (on parle de « Seconde révolution bancaire ») ↩︎
  5. Les tournois du grand-chelem sont l’Open d’Australie, les Internationaux de France de tennis, le tournoi de Wimbledon et et l’US Open à New-York. ↩︎
  6. Fondé en 1906, le quartier était auparavant connu sous le nom de Whitepot. D’après le recensement de 2000, 41 417 personnes habitent Forest Hills. Il comprend le West Side Tennis Club qui a hébergé l’US Open de tennis de 1915 à 1977. Historiquement le quartier a une grande communauté juive. ↩︎
  7. John McEnroe, né le 16 février 1959 à Wiesbaden (Allemagne), est un joueur de tennis américain professionnel de 1977 à 1992. ↩︎
  8. Philippe Pétain, né le 24 avril 1856 à Cauchy-à-la-Tour (Pas-de-Calais) et mort en détention le 23 juillet 1951 sur l’île d’Yeu (Vendée), est un militaire, diplomate et homme d’état français. Élevé à la dignité de maréchal de France en 1918, il devient un héros national suite à la première guerre mondiale. Il est frappé d’indignité nationale et déchu de toutes ses distinctions militaires en 1945 suite à ses faits de collaboration avec l’Allemagne Nazie pendant la seconde guerre mondiale. ↩︎
  9. Cet exode a fait plus de 100000 morts sur les routes, la plupart bombardés par les avions allemands. Cet exode est l’un des plus importants mouvements de population du XXe siècle en Europe. ↩︎
  10. Charles de Gaulle, communément appelé le général de Gaulle ou parfois simplement le Général, né le 22 novembre 1890 à Lille (Nord) et mort le 9 novembre 1970 à Colombey-les-deux-Eglises (Haute-Marne), est un militaire, résistant, homme d’état et écrivain français. Il est fondateur de la France libre puis dirigeant du Comité français de libération nationale pendant la seconde guerre mondiale. Président du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946. Président du conseil des ministres de 1958 à 1959, instigateur de la Cinquième République, fondée en 1958. Président de la République de 1959 à 1969, étant le premier à occuper la magistrature suprême sous ce régime. ↩︎
  11. Le régime de Vichy est le régime politique autoritaire et collaborationniste instauré en France à la suite de l’armistice de 1940 durant la seconde guerre mondiale. De nature traditionaliste, xénophobe et antisémite, ce régime avait à sa tête le maréchal Philippe Pétain. Le régime est ainsi dénommé car le gouvernement siégeait à Vichy, située en zone libre. ↩︎
  12. Appel du 18 juin 1940, est un appel à la résistance lancé par le Général De Gaulle depuis Londres. Il fait suite au message radiophonique du maréchal Pétain fait la veille où il annonçait l’armistice et sa nouvelle fonction de président du conseil. ↩︎
  13. British Broadcasting Corporation (litt. « Société de radiodiffusion britannique »), est un radiodiffuseur britannique de service public fondé en 1922, dont le siège est situé à la Broadcasting House de Westminster, à Londres. C’est le plus ancien radiodiffuseur national du monde. ↩︎
  14. Pendant la seconde guerre mondiale, les Forces Françaises Libres (FFL) est le nom donné aux forces armées ralliées à la France libre sous l’égide du général De Gaulle. Leur emblème est la croix de Lorraine mais l’insigne des forces terrestres est un glaive ailé.
    Créées le 1er juillet 1940, les FFL cessent d’exister le 1er août 1943 à la suite de leur fusion avec l’Armée d’Afrique commandée par Henri Giraud, continuant leur combat dans les rangs de l’armée française de la Libération, principalement au sein de la 1ère division française libre (1re DFL) et, dans une moindre mesure, au sein de la 2ème division blindée (2ème DB). ↩︎
  15. Winston Churchill est un homme d’état et écrivain britannique, né le 30 novembre 1874 à Woodstock et mort le 24 janvier 1965 à Londres. Membre du Parti conservateur malgré un intermède au Parti libéral, il est Premier ministre du Royaume-Uni de mai 1940 à juillet 1945 puis d’octobre 1951 à avril 1955 ; il joue un rôle décisif dans la victoire des alliés lors de la seconde guerre mondiale. ↩︎
  16. L’Auxiliary Territorial Service (ATS) était la branche féminine de la British Army au cours de la seconde guerre mondiale. Elle a été formée le 9 septembre 1938, originellement comme un service de femmes volontaires, et a existé jusqu’au 1er février 1949, quand elle a été fusionnée dans le Women’s Royal Army Corps. ↩︎
  17. Le Corps des Volontaires françaises (CVF) est créé le 7 novembre 1940, à Londres, avec une première unité militaire du « Corps féminin des Volontaires françaises » auprès de la France Libre, ou « Corps féminin de la France libre », composée de soixante-dix femmes au départ, avec à sa tête Simonne Mathieu, puis Hélène Terré qui commande 126 engagées ↩︎
  18. Le Blitz (terme allemand signifiant « éclair ») est la campagne de bombardements stratégiques durant la seconde guerre mondiale menée par l’aviation allemande contre le Royaume-Uni du 7 septembre 1940 au 21 mai 1941. Il s’agit de l’opération la plus connue de la bataille d’Angleterre.
    Elle toucha principalement Londres mais également Coventry, Plymouth, Birmingham et Liverpool et aussi les villes historiques de Canterbury et Exeter et la station balnéaire de Great Yarmouth. 41 000 à 43 000 civils furent tués et 90 000 à 150 000 blessés selon des chiffres officiels. Près de 3,75 millions de Britanniques évacuèrent Londres et les principales villes. Toutefois, ce procédé utilisé par le Troisième Reich qui avait pour but de démoraliser le peuple britannique ne fonctionna pas et n’empêcha pas celui-ci de soutenir l’effort de guerre du pays. ↩︎
  19. Jeanne Bohec, née le 16 février 1919 à Tourlaville dans la Manche et morte le 11 janvier 2010, est une résistante française.
    Engagée dans le CVF des FFL , elle intègre le BCRA et apprend les techniques de sabotage. Parachutée en février 1944, elle sillonne la Bretagne à bicyclette, d’où son surnom « la plastiqueuse à bicyclette ». Elle forme des équipes de saboteurs, organise plusieurs opérations et participe à la Libération.
    Après la guerre, elle devient professeur de mathématiques et maire-adjointe du 18ème arrondissement de Paris. Elle écrit un livre évoquant son engagement dans la Résistance : La Plastiqueuse à bicyclette. ↩︎
  20. Maurice Schumann, né Jacques Schumann le 10 avril 1911 à Paris et mort le 9 février 1998 dans la même ville (enterré à Asnelles, en Normandie, près de la plage où il débarqua en 1944), est un homme d’état, journaliste et écrivain français.
    Il rejoint le général De Gaulle à Londres dès juin 1940, et devient le porte-parole de la France-Libre. Il en est la voix sur Radio Londres durant tout le conflit.
    À la fois fidèle gaulliste, démocrate chrétien et européen convaincu, c’est un des fondateurs du Mouvement républicain populaire, dont il est le premier président. Député du Nord pendant trente ans puis sénateur pendant quinze ans, il est plusieurs fois nommé ministre d’État dans les gouvernements de Georges Pompidou et conclut son parcours gouvernemental comme ministre des affaires étrangères (1969-1973). Il est élu à l’Académie française en 1974. ↩︎
  21. Le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) était pendant la seconde guerre mondiale, le service de renseignements et d’actions clandestines de la France Libre. Créé en juillet 1940 par le général De Gaulle, désigné sous différentes appellations au fil des années, il sera fusionné avec les services de l’Armée en Algérie en 1943 au sein de la Direction Générales des Services Spéciaux (DGSS). ↩︎
  22. André Dewavrin, dit le colonel Passy, né le 9 juin 1911 à Paris et mort le 20 décembre 1998 dans la même ville, est un officier français qui est, pendant la seconde guerre mondiale , chef du BCRA , les services secrets de la France Libre, auprès du général De Gaulle.
    Il est compagnon de la Libération. ↩︎
  23. Jules Ladoumègue, né le 10 décembre 1906 à Bordeaux et mort le 2 mars 1973 à Paris, est un athlète français spécialiste des courses de demi-fond. ↩︎
  24. Françoise Dürr épouse Browning (née le 25 décembre 1942 à Alger en Algérie française) est une joueuse de tennis française des années 1960 et 1970. ↩︎

Cet article a 5 commentaires

  1. Noëline Visse

    Pour l’amoureuse de généalogie et du tournoi RG que je suis, cet article est un vrai régal ! Merci Magali 🎾

    1. Merci Noëline, tu as dû te régaler dimanche devant la finale (sans Nadal malheureusement mais je crois qu’il a trouvé un digne successeur 🎾)

  2. Noëline Visse

    Oh que oui ! Je crois aussi qu’Alacaraz est le digne successeur de Nadal. J’espère quand même qu’il laissera un peu de place à d’autres jeunes joueurs tout aussi talentueux que lui 😃

  3. Charpentief

    Bravo Magali encore un bel article.

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