Depuis que je suis arrivée à Brains1, j’entends parler de François Charpentier par toute ma belle-famille. Quand j’essaie d’en savoir plus, les grandes lignes ressortent mais je ne peux pas expliquer à nos enfants qui était vraiment leur arrière-grand-père. Qu’a été sa vie ? Quelles épreuves l’ont jalonnée ? Qu’a-t-il laissé derrière lui ?
Je ne peux pas dire que j’ai connu François Charpentier. Durant l’été 1997 alors que je passais, avec mon frère Sylvain, à l’improviste à Brains pour saluer ma belle-famille, je trouvais porte close. C’est alors qu’un homme est sorti de la maison voisine, la moitié du visage couvert de mousse l’autre déjà rasée… En ce début d’après-midi, il nous accueilli aimablement. Ce fut ma seule rencontre avec le patriarche de la maison Charpentier.
Alors qui étais-tu vraiment François Charpentier ?
L’enfance de François Charpentier
François est né par un froid matin de décembre 1912. Il a vu le jour dans le village de la Robrie à Brains en Loire-Atlantique (à l’époque Loire-Inférieure). Il est le fils unique du mariage tardif de François Charpentier et de Félicité Charpentier qui étaient cousins germains.
Arbre de la famille Charpentier (jusqu’à 3 générations au dessus de François) qui illustre le mariage de ses parents et du lien de parenté qui les unissait avant cette union
François grandit entouré de femmes. En effet son père, malgré son âge avancé, se voit incorporé pour partir au combat en août 1914. Le petit François n’a qu’un an et demi. En septembre de cette même année, le père de famille est fait prisonnier. Il est envoyé en Allemagne au Schießplatz Wahn près de Cologne. Ce camp de prisonnier dont vous pouvez voir des illustrations ci-dessous pouvait retenir plus de 50000 hommes.
Le petit François grandit donc auprès de sa mère et de ses deux tantes. Son père ne rentrera qu’en 1919, après sa libération en mars. François, après de courtes études, commence à travailler à la ferme familiale.
A cette époque, on le surnomme le « petit Gaillard ». En effet, depuis son grand-père, les brennois2 surnomment ainsi tous les Charpentier. Le père toujours vivant est le « Gaillard » et son fils le « petit Gaillard ». Ce surnom est passé aujourd’hui à son fils François.
Installation à la Robrie
Après avoir rencontré Simone Pacaud (sœur de Marguerite Pacaud dont vous pouvez découvrir l’histoire dans mon article précédent https://maggenealogie-arbresethistoires.com/marguerite-pacaud-a-eu-un-accident/), à un mariage où ils étaient tous les deux invités, il l’épouse en 1936. C’est un double mariage, Colette la sœur de Simone et son mari Paul Rondeau se marient le même jour. Cette double union fait le bonheur de la famille.
De ce jeune couple, nait Simone en février 1937. Un an plus tard une petite Marie voit le jour. Grande prématurée, elle décède deux jours plus tard. Quelques mois plus tard, en décembre, Odile vient rejoindre la petite famille. Le couple a peur que l’histoire ne se répète car elle aussi est prématurée. Malgré sa petite taille elle vivra (d’après la légende familiale, elle a pour berceau une boîte à chaussure fourrée de coton). La vie s’annonce belle pour la famille Charpentier jusqu’à ce terrible été 1939. Alors que Simone est de nouveau enceinte, l’Allemagne envahi la Pologne. Cette invasion entraine l’Europe puis le monde entier dans la guerre. L’armée rappelle tous les hommes encore mobilisables et François part donc au combat. Il laisse derrière lui une femme enceinte et deux filles pour rejoindre son unité.
Seconde guerre mondiale – le départ au combat
Le 26 août 1939, François quitte son village pour le dépôt d’infanterie coloniale 219 (21ème Régiment d’Infanterie Coloniale). Suite à cela, il part aux armées le 9 septembre 1939 en direction de l’Est pour bloquer l’avancement des allemands. En février 1940, il passe à la compagnie hors rang (CHR3). Son régiment continue d’avancer vers l’Est en direction de la ligne Maginot4. Arrivé là-bas, fin mai 1940, le combat contre l’ennemi est intense. Cependant, au bout d’un mois les allemands prennent le dessus sur les français.
Son unité se retranche alors dans le village de Saint-Dié-Des-Vosges (88). Malheureusement, les troupes allemandes les encerclent rapidement. Leur commandement les incite à se rendre car le combat est inégal et ils se feraient vite massacrés. Malgré cette défaite, le drapeau n’est pas tombé. Les soldats l’enterrent près du village. Pour la petite histoire, ce drapeau est récupéré pour être transféré à Toulon. Il y sera soustrait une fois encore à l’ennemi lors de l’occupation de la zone libre.
François est prisonnier
Le 22 juin 1940, Les allemands font prisonniers François et ses camarades. Les pauvres hommes ne savent pas ce qui les attend.
La Wehrmacht5 les envoient près de là, à Strasbourg, au camp Baratier. Même les allemands se trouvent débordés par le nombre de prisonniers, ils ne s’attendaient pas à une avancée aussi rapide. Alors que le Maréchal Pétain annonce l’armistice et que le Général De Gaulle lance son appel du 18 juin depuis Londres, les prisonniers ne savent pas ce qui va advenir d’eux. Ils resteront à Strasbourg, dans des conditions très précaires, jusqu’en novembre 1940. De là, ils partent vers l’Allemagne. Ensuite, après un long voyage en train, ils débarquent à la gare de Trèves (Trier en allemand). Cette ville se situe près de la frontière entre l’Allemagne et le Luxembourg. S’en suit une longue marche sur une pente abrupte vers le camp de prisonnier le stalag XII D.
Arrivée au stalag XII D
Le Stalag XII D est un camp de prisonniers qui peut contenir plus de 30000 internés à la fois. En effet, les allemands divisent le camp en deux partie : la partie qui regroupe les français, anglais, belges, luxembourgeois… et la partie russe. Je ne vais pas m’attarder ici sur le côté affecté aux russes mais les conditions de détentions de ce bloc sont beaucoup plus insalubres que le côté des occidentaux qui étaient « mieux » traités. Les russes souffrent alors de malnutrition, manque d’hygiène… qui font se développer bon nombre de maladies telles que le typhus….
Arrivée des soldats à Trèves. Longue marche de la gare de Trèves au stalag XII D.
(source : 1940-1945 Le camp de prisonnier de guerre Stalag XII D)
Pour la partie qui concerne nos prisonniers, des recherches aux archives militaires de Caen mais également en Allemagne m’ont permises d’en apprendre un peu plus sur ce stalag et sur le quotidien de François là-bas.
Un témoignage de l’abbé Aubert arrivé à Trèves le 16 juin 1940, seulement quelques jours avant François, nous raconte :
« C’est à pied après avoir été comptés et recomptés que nous rejoignons le camp par une route en lacet. Escortés de gardes nous traversons des quartiers habités et des vignobles plutôt dans l’indifférence. Parfois, un groupe et jeunes gens, en uniforme pour certains, manifestent leur joie à notre passage. La montée vers le camp est éreintante car la pente très raide est pavée de cailloux glissants. Les maisons arborent de nombreux drapeaux et oriflammes nazis. La population nous semble étrangement calme. Le camp se présente enfin à nous en une interminable avenue bordée de baraques en bois…En juin 1940, il y avait environ 30 000 prisonniers de guerre dans ce Stalag pour un maximum de 12 à 15000 places. Une fois arrivés, nous sommes fouillés et délestés de nos objets personnels, alignés à nouveau comptés et recomptés dans un garde à vous interminable…Dans le camp, nous logeons dans les nombreuses baraques en surpopulation. Elles sont meublées de lit sur trois hauteurs munis de paille ou de paillasses et nous disposons d’une couverture par personne. Les baraques sont de deux types : les unes avec de petites chambres de 20 personnes, les autres de grandes chambres de 120 personnes. Une infirmerie se composent de 4 baraques dans lesquels sont installés 90 lits sous les ordres de deux médecins allemands. Le camp se compose aussi d’une prison. Ce bâtiment en pierre se compose de petites cellules d’environ 1m60 sur 1m70, on y enferme jusqu’à 90 prisonniers. Les journées sont occupées à marcher dans le camp entouré de barbelés et de mirador sous la surveillance de soldats âgés pour la plupart. Ils font partie de la deuxième compagnie de protection des Lands. Une cuisine est installée dans une immense salle. Des prisonniers y travaillent sous la direction d’un sous-officier allemand. Une cantine6 y est attenante où la bière et diverses objets usuels comme des cigarettes peuvent être achetés par les prisonniers. »
Témoignage de l’Abbé Aubert prisonnier à partir du 16 juin 1940 au stalag XII D à Trèves
Un lien vers l’extérieur
Afin de compléter cette description des lieux, on peut y découvrir un service de courrier à l’intérieur du camp. Des prisonniers y travaillent pour envoyer les lettres entre les prisonniers et les familles restées en France et trier celles qui reviennent pour eux ainsi que les colis.
Illustration réalisée par un prisonnier du centre de tri du stalag XII D (source : livre Trèves Petrisberg 1940-1945 Le camp de prisonnier de guerre Stalag XII D d’Adolf Welter)
Ces courriers qui sortent des camps sont de simples cartes. Un service de censure contrôle les écrits. Ce service fouille également les colis qui arrivent des familles ou des marraines de guerre avant de les remettre aux prisonniers. François a lui aussi envoyé des cartes à Simone. Quelques-unes sont encore en notre possession. Pour des raisons de pudeurs je ne vous montrerai que le recto de la carte mais pour vous donnez l’état d’esprit de François pendant sa captivité je vous partage quelques uns de ses mots.
« 25 jours sans lettre, tu sais le moral est bien bas l’espoir m’abandonne complètement que veux-tu ? Rien ne me fait plus plaisir, rien que de recevoir tes lettres. Bon baiser à tous, aux petites chéries surtout! »
« Je ne m’en fais pas, je ne pense à rien, à quoi bon puisque ça marche très bien chez nous, je t’admire voilà tout et te remercie. Oui chérie seulement j’ai toujours quelque chose au cœur et ailleurs qui souffre. »
« Bien reçu ton colis, merci au complet mets un peu plus de tabac la prochaine fois nous en manquons presque ! Le bonjour aux voisins, aux copains. Bon baiser aux chères petites. »
Vie au stalag XII D
Je vous invite à découvrir ici des photos du stalag XII D jusqu’en 1944. Les alliés le bombarde en août 1944. La plupart de ces photos proviennent du livre d’Adolf Welter sur le XII D.
Le « divertissement » est également présent au camp. En effet, il faut bien occuper tous ces prisonniers qui n’ont rien d’autre à faire que de marcher de long en large entre les baraquements. Parfois, les prisonniers se regroupent pour faire du sport tel que le football, il y a une bibliothèque, un orchestre, et au soir du réveillon de Noël 1940 une pièce de théâtre y est même jouée.
(source : livre Trèves Petrisberg 1940-1945 Le camp de prisonnier de guerre Stalag XII D d’Adolf Welter)
Un soldat très connu !
Je vais faire une parenthèse sur cette soirée car elle est particulière. En effet, un illustre personnage est interné dans ce stalag, il s’agit de Jean-Paul Sartre. Les allemands l’ont aussi fait prisonnier en juin 1940 dans les Vosges. Ce séjour au stalag le changera profondément comme il le dira lui-même quelques années plus tard. En effet, l’intellectuel individualiste des années 30 se transforme grâce à la promiscuité et l’entraide entre camarades. En cette fin d’année 1940, comme il s’ennuie au centre d’internement, il écrit une pièce « Bariona ou le fils du tonnerre ».
Cette pièce, est une satire du nazisme mais son histoire se déroule dans la Rome antique. Ainsi, des prisonniers la jouent donc au nez et à la barbe des allemands qui ne comprennent pas la critique. Malgré tout, les français, eux, s’en aperçoivent ce qui les amuse beaucoup. Si vous voulez en savoir plus sur cette histoire vous pouvez la découvrir dans le livre de Marius Perrin « Avec Sartre au stalag 12D ».
Le soutien moral
Des offices religieux sont également organisés au grand air rassemblant des centaines, voir des milliers de prisonniers comme vous pouvez le découvrir sur cette illustration.
Heureusement, pendant cette période d’internement, en plus du soutien de sa famille, François avait une « marraine de guerre7 ». En effet, Melle Louise Cornu lui envoyait des colis de victuailles et de vêtements et elle faisait le relais entre sa famille et lui pour l’envoi des lettres qui étaient moins contrôlées par ce biais. François a ainsi gardé des relations avec Louise jusqu’à la mort de cette dernière et leurs descendants respectifs continuent à entretenir ce lien.
Une mauvaise expérience
Comme François est agriculteur dans le civil, il est donc envoyé pour travailler dans des fermes. On le dirige tout d’abord vers Köwerich à 30mn en véhicule de Trèves. Certains prisonniers sont regroupés, pour y être logés, dans une grande ferme et dispatchés dans des petites exploitations autour pour travailler. D’autres logent dans la ferme où ils travaillent. Le dimanche, tous les prisonniers doivent retourner au stalag XII D afin d’y être recomptés pour contrôler d’éventuelles évasions.
Dans la première ferme où François est envoyé cela se passe très mal. La famille le considère comme un « sale français », on ne lui parle pas, il ne faut pas parler à l’ennemi ! Sous-alimenté, il est obligé de voler des œufs dans le poulailler pour les gober cru et avoir quelque chose dans le ventre afin de pouvoir tenir debout.
De bons allemands
Il est ensuite envoyé dans une autre ferme et là c’est le jour et la nuit avec la première exploitation. Là-bas, il est bien traité, comme un journalier le serait dans la vie civile. En effet, il habite dans la maison de la famille. Bien sûr, les soldats allemands contrôlent les logements des prisonniers. Le fermier qui l’héberge doit donc se plier à certaines règles : sa chambre doit avoir une fenêtre condamnée pour éviter une évasion pendant la nuit, il ne faut pas échanger avec les prisonniers en dehors de leur donner le travail à faire, ils ne doivent pas partager leurs repas avec eux et les nourrir juste ce qu’il faut pour qu’ils aient la force de travailler.
Le patriarche de la famille ne voit pas ce traitement d’un bon œil. Est-il antinazi ou simplement humaniste ? Toujours est-il qu’il refuse de traiter François en esclave. François a une pièce pour dormir et il mange à table avec la famille (sauf si des étrangers à la famille sont à la maison de peur des dénonciations). Le travail est difficile mais comme il le serait s’il travaillait sa propre terre. La famille le considère comme un employé. Comme François avait une formation de tonnelier, il leur a également fabriqué un petit tonneau. Ainsi, pour laisser une trace de son passage, il y a même gravé ses initiales FC dessus en souvenir.
Comme tous les prisonniers François reçoit 70 Pfennigs par jour. Cette « rémunération » sous forme de billets est utiliser dans le camp pour cantiner et s’acheter le minimum nécessaire pour se laver, se raser ou pour améliorer un peu le quotidien.
Exemplaire d’un billet de Pfennig (source : livre Trèves Petrisberg 1940-1945 Le camp de prisonnier de guerre Stalag XII D d’Adolf Welter)
Le mal du pays
Malgré ce traitement acceptable, François se languit de Simone et de ses filles. Il est parti au combat en laissant deux filles. Maintenant, une troisième est née en décembre 1939, mais il ne la connait pas. Il a donc hâte de rentrer au pays.
Grâce à mes recherches en Allemagne et à l’aide de Mr Metzen qui m’en a fait une traduction, j’ai pu consulter un ouvrage de Mr Welter. Dans le livre « Trèves Petrisberg 1940-1945 Le camp de prisonnier de guerre Stalag XII D« , on peut découvrir l’histoire de ce Stalag.
Pour la petite histoire, par une coïncidence incroyable, j’ai pu y retrouver un cliché de François accompagné de ses camarades. En effet, Mr Welter a publié une photo qu’il a lui-même trouvée dans un livre de mémoire d’une certaine Mme Jakoby. Cette dame, qui a vécu son enfance à Köwerich et qui a côtoyé les « français » a alors sûrement croisé François puisqu’elle était en possession de sa photo. Selon les dires de Mr Welter, cela tient du miracle. En effet, en plus de 60 ans c’est la première fois qu’une famille retrouve un prisonnier, sur plusieurs dizaines de milliers qui sont passés dans ce stalag, dans une de ses publications. Il est d’ailleurs en préparation d’un article sur cette découverte pour la presse allemande.
Cette même photo était également dans les archives de notre famille.
Mise à jour de l’article au 27 août 2024
Depuis la publication de cet article, Mr Welter, historien allemand, a publié un article sur l’histoire de cette photo retrouvée dans son livre. Vous pouvez découvrir cet article ici :
Traduction de l’article en français Cliquez ici ⬇
Rencontre inespérée avec leur grand-père décédé.
Grande joie pour l’historien local Adolf Welter de Trève. Dans son livre, sur le camp de prisonniers de Pétrisberg (1940-1945) – une famille française retrouve sur une photo, son aïeul et ses meilleurs camarades qui ont travaillé pendant de nombreuses années dans les vignobles de Köwerich.
TREVE. Le livre « Trève-Pétrisberg »
Le camp de prisonniers Stalag XII-D » a été publié par Adolf Welter de Tréve-Euren en 2007 et pour lui cette affaire est maintenant terminée.
Par contre Welter est très fier que les exemplaires dont il a fait cadeau aux bibliothèques municipales de Metz, Thionville et de Nancy ont suscité un grand intérêt. Il faut dire que des centaines de Français y ont été aussi interné après l’invasion de la Wehrmacht en 1940.
L’homme de 89 ans a reçu une nouvelle qui l’«électrisé » :
Une femme de Brains a reconnu sur une photo » deux vieilles connaissances »
Et voilà ce qui s’était passé…
Le livre de Welter est arrivé grâce à son collègue de recherche, Jean Bruno (Spangdahlen) dans la commune de Brains, département de la Loire Atlantique.
Là-bas Magali Charpentier découvrit sur une photo, le portrait du grand- père de son mari François Charpentier et de son ami Jacquot. – Welter parle « d’un hasard presque d’un miracle.
La photo du livre simplement intitulée
« Prisonniers Français à Köwerich » cela montre un groupe de prisonniers d’un camp qui ont travaillé dans les vignobles de Köwerich de 1940 à 44. Cela raviva de nombreux souvenirs chez les Charpentier.
Welter… « Parmi ces descendants ; il est connu que François Charpentier a travaillé en Moselle dans une ferme dans les environs de Trève. En tant que tonnelier, il avait fabriqué un petit tonneau et il y avait gravé ses initiales FC. »
Il semble que les années passées en Moselle, l’on marqué de façon positive.
Magali Charpentier se souvient qu’il a rendu plusieurs fois, visite à son ancien « PATRON « à Kowerich entre 1960 et 1970, au moins une fois avec sa femme, sa fille et son gendre. Il était très heureux que sa famille Allemande conserve précieusement son petit tonneau.
François Charpentier a été maire de Brains de 1971 à 1977, il faisait partie du conseil municipal depuis 1945 et il est décédé en 1998.
Adolf Welter qui aura 90 ans le 31 octobre, se réjouit « que mes recherches bénévoles de plusieurs décennies ont fini à contribuer à la paix et à la compréhension entre les peuples si chers à son cœur.
Cette photo des prisonniers Français était en possession de Rosa Jakoby (1925-2014). Historienne locale de Köwerich. Elle avait publié en 1993, dans son livre « La vie dans un village de Moselle » et l’avait offert en remerciements à Welter pour leur long travail en commun.
Sur la première photo de l’article :
A près de 90 ans « même si ce n’est qu’à petit régime » Adolf Welter continue activement ses recherches. Récemment, il s’intéresse au pont romain sur la Moselle, dernier pont n’ayant pas été bombardé par la Wehrmacht.
Sur la photo de groupe :
Prisonniers Français à Köwerich.
L’historien local Adolf Welter a publié cette photo en 2007 dans son livre Trève-Pétrisberg camps de prisonniers – Stalag XII-D. Une famille de France y a découvert un de ses aïeul.
(François Charpentier rang du milieu à droite) ainsi que son ami Jacquot (rang du milieu).
Le retour
En janvier 1943 son vœu se réalise enfin. François bénéficie d’un congé de captivité8. Il est rapatrié en tant que cultivateur le 11 janvier 1943. Un article de presse relate son retour au pays. Il sera ensuite démobilisé par le centre de démobilisation de Nantes le 18 janvier 1943 grâce à la naissance de sa troisième fille ce qui l’a protégé d’un éventuel retour en Allemagne.
(Source : le phare de la Loire du 14 janvier 1943)
A son retour, les choses ont alors bien changé. Les allemands sont partout, même à Brains. Comme il a parlé un peu la langue de Goethe pendant ses années de captivité, dès qu’un Brennois a des problèmes avec l’occupant on vient le chercher pour faire la traduction d’une réclamation ou d’une justification. Cependant, cette situation le met dans le viseur de l’occupant qui lui dit de se tenir à carreaux pour éviter les représailles ou un retour vers l’Allemagne.
Cette situation durera plus de deux ans jusqu’au jour où Brains sera libéré. Cette libération fera l’objet d’un autre article très prochainement.
Les retrouvailles
Les souvenirs de la guerre sont toujours présents dans la mémoire de François. Il en fait encore des cauchemars la nuit. Il est resté en contact avec un des hommes rentrés avec lui en 1943 et qui habite Saint-Mars-de-Coutais une commune voisine. Simone, sa femme, sent bien qu’il faut qu’il en parle, qu’il extériorise ses démons. C’est ainsi que l’occasion se présente dans les années 60. En effet, en tant qu’ancien prisonnier, il reçoit une invitation pour un rassemblement à Lourdes. François refuse d’aller se confronter à ces mauvais souvenirs qu’il tente d’oublier.
Malgré tout, Simone ne l’entend pas de cette oreille et décide de partir seule avec une photo prise dans le village où il travaillait en Allemagne. Arrivée à Lourdes, elle se dirige donc vers le stand du stalag XII D. Elle y croise un homme, Marc Jacquot, qui tient à la main la même photo qu’elle. Elle se présente, lui aussi et c’est le début d’une relation qui durera jusqu’à leur mort et que leurs enfants continuent d’entretenir encore aujourd’hui. Un troisième prisonnier faisait parti de ces rencontres : Mr Lafitte. Pour la petite anecdote, quand ils se sont revus dans les années 70, les 3 anciens prisonniers étaient devenus maires de leurs communes respectives.
Retour en Allemagne
Un beau jour, dans les années 70, le couple Jacquot, François et Simone accompagnés d’une de leur fille et de leur gendre sont retournés à Köwerich en Allemagne dans la ferme où François avait travaillé. Le patriarche de la famille était décédé depuis quelque mois, il n’a pas pu le revoir. Le reste de la famille, qui continuait d’exploiter la ferme, lui a réservé un très bon accueil, ils avaient même gardé le tonneau que François leur avait construit de ses mains avec ses initiales gravées dessus. Ces retrouvailles furent émouvantes des deux côtés. Il n’y avait plus d’ennemis, le temps était au pardon, à l’oubli et à la construction de l’Europe.
Une autre personne de ces terribles années est restée dans la vie de François, sa marraine de guerre. Ils continuent à s’écrire et à se voir, elle a été une lumière dans la nuit de la guerre. Il l’invite même à ses 40 ans de mariage avec Simone en 1976. Ainsi, lors de son discours il aura une pensée pour elle : « Je remercie Louise, cette marraine de guerre qui a servi d’intermédiaire dans les jours de la guerre et qui maintenait le moral à l’un et à l’autre, c’est la bonté sur terre ! »
L’engagement
A force d’aider ses voisins et amis pendant l’occupation, François décide de s’engager officiellement. Il entre au conseil municipal en 1945. Petit à petit, il prend davantage de responsabilités jusqu’à devenir 1er adjoint en 1965. En 1968, le maire en place, Mr Yves Boquien, démissionne pour raison de santé. En tant que 1er adjoint, François le remplace. Trois ans plus tard, en 1971, il se présente tout naturellement à l’élection municipale et il devient maire de Brains. Il fera un mandat jusqu’en 1977. Ce mandat n’a pas été de tout repos car comme pendant l’occupation, les habitants de Brains venaient « à la cave » exprimer leurs doléances à Mr le Maire. Il n’avait plus de repos, c’était un mandat de 7 jours sur 7. Épuisé, François ne se représentera pas en 1977.
La vie de famille
Quand François est revenu en 1943, il avait 3 filles. Quelques mois plus tard une 4ème fille est née suivi d’un garçon en 1946. François et Simone menaient une vie de famille ordinaire entourés de voisins, d’amis et de leur famille.
En 1976 lors de leurs noces d’émeraude, il tiendra ce discourt qui montre bien l’amour qu’il porte aux siens :
« Bien sûr, c’est un très bel anniversaire… 40 ans de mariage ! Plusieurs couples ne peuvent hélas en faire autant. 40 années représentent bien des choses bonnes et moins bonnes. On a bien de la peine à réaliser qu’une vie, qui soi-disant est longue, puisse paraître aussi courte à ceux qui la vivent. C’est pourquoi je veux essayer de dire ce que je pense. Je n’ai pas tellement d’occasions pour le faire. On me dit que je ne vais pas assez vite à le dire, c’est pourquoi je l’ai écrit. Ainsi, je ne chercherai pas mes mots. D’abord je commence par les « plus petits », ceux qui ne comprennent pas encore ou presque pas. Mais d’ici peu ils comprendront. Vous êtes les plus mignons parce que vous n’avez pas encore eu de contact avec la réalité. Maintenant, c’est à vous les grands de nos petits-enfants que je veux dire : travaillez bien, faites tout ce que vous pouvez. La vie est un mystère. On ne sait pas ce qu’elle nous réserve en bon et en mauvais. Elle vous donnera des difficultés qu’il faudra, qu’il vous faudra affronter. On vous donne la vie mais pas toute faite. C’est à vous de faire, de la faire… et chacun la sienne propre. Bien sûr on peut vous aider, mais c’est vous, les artisans et vous seul qui déciderez le principal. Pour vous, c’est le printemps, la beauté, l’enchantement. Mais attention, il y aura des orages de déception. Prenez les devants ne faites pas n’importe quoi, n’importe comment. Ne gaspillez pas vos belles années. Pour vous, nos enfants directs et indirects, désormais votre vie est orientée définitivement. C’est l’été, les moissons s’annoncent déjà. Attention aux orages ou aux tempêtes… Soyez vigilants. Quant à nous, c’est l’automne… c’est une assez belle saison… c’est le résultat du travail fait qui compte. Ce qui a été manqué, on ne peut plus le changer ou bien peu. Enfin, pour le moment nous ne nous plaignons pas trop. Comme pour toute la nature et tout ce qui existe, il faut prévoir l’hiver. Il est inévitable. On n’y échappe pas, le froid, la tempête, le manque de soleil… nous guettent. C’est pourquoi je veux vous dire qu’il faut l’aborder avec courage et prévoyance, il sera plus supportable. Pour tout cela. Il n’y a qu’une solution : pour chacun des moments de la vie, faire tout ce qui dépend de nous. Faire tous ce qui dépend de nous, et le reste le mettre entre les mains du Bon Dieu… C’est tout ! »
François Charpentier 1976
Un nouvel arrivant
En 1948, François est seul à s’occuper de ses terres, les enfants sont encore petits et il n’y a pas de machines comme aujourd’hui pour faciliter le travail agricole. Un beau matin, une femme qui vient livrer du beurre lui parle d’un jeune garçon qu’elle connait. Ce dernier qui s’appelle Yves Audion a 16 ans, il est orphelin de mère et n’est pas allé très longtemps à l’école. Il travaille déjà dans une autre ferme mais ses patrons ne le traitent pas bien.
Est-ce parce qu’il se reconnait en lui par le traitement qu’il a lui-même subit dans la première ferme où il a été placé en Allemagne ? Est-ce juste par humanité ? Toujours est-il que François décide de prendre Yves sous son aile. Yves arrive le 1er mai 1948 à la Robrie. Au début, il est prévu qu’il reste deux ans le temps que les filles soient assez grandes pour aider aux travaux de la ferme mais ce ne sera pas le cas. Yves, surnommé St Yves par le curé de la paroisse, est « adopté » par la famille Charpentier.
La famille s’agrandit
Pendant qu’Yves travaille à la Robrie, Auguste Audion, son père, décède en août 1949 et Yves se retrouve orphelin à 17 ans. Son grand-père est son tuteur légal mais à part une visite de temps en temps, il ne s’occupe pas de lui. St Yves est logé et nourrit par la famille Charpentier et quand il est en âge de partir François lui propose de rester.
Yves accepte tout de suite et il restera auprès du couple bien après que les enfants seront mariés et aient quitté le domicile familial. Il considèrera François et Simone comme ses deuxièmes parents et les enfants et les petits enfant du couple le verront comme un membre de la famille. Un de ces membres qui n’est ni un oncle, ni un grand-père mais qui fait partie de la famille sans qu’on sache vraiment d’où. St Yves restera à la Robrie après le décès de François et de Simone, dans la maison où il a vécu quasiment toute sa vie avec eux. Il y passera sa retraite jusqu’au moment où, trop faible, il est placé en maison de retraite. Il y décèdera au bout de quelques mois à l’âge de 75 ans. Grâce à François et Simone il a trouvé une famille qui l’a accompagné jusqu’à la fin de sa vie.
Le dernier mot est pour François
Pour conclure, je peux dire que François qui était destiné à une vie ordinaire de paysan dans son village natal a été emporté dans le tourbillon de l’histoire. Comme son père avant lui, son séjour en Allemagne l’a marqué à jamais et a façonné sa personnalité. Il en ressort une image d’un homme assez taiseux mais profondément attaché aux siens et qui par ses écrits a su laisser une trace de son passage.
A ce jour, François et Simone ont laissé derrière eux 6 enfants, 16 petits-enfants, 33 arrière-petits-enfants et 5 arrière-arrière-petits-enfants… et ce n’est pas terminé !
Je laisse aujourd’hui à François le dernier mot par ce texte écrit de sa main à ses neveux pour leur raconter l’histoire de la famille.
Merci…
Pour cet article je tiens à remercier Michelle et François Charpentier pour leur aide et la soirée passée à nous conter des anecdotes sur le Gaillard.
Je remercie également Anne-Marie Trouillard pour les photos datant de la guerre et Gaby et Daniel Rondeau pour les archives familiales.
Merci à Mme Laure Beslier, maire de Brains, pour sa disponibilité.
Merci à Jean Bruno Metzen pour la traduction des documents allemands et le lien établi avec Mr Adolf Welter.
Je rajoute ici mes remerciements à Nadine et Jean-François (volontaires de Charette) pour leur traduction de l’article du journal allemand.
Et enfin merci à Mr Welter pour son témoignage sur cette époque et pour tous les documents mis à ma disposition.
Je dédie cet article à la mémoire de François Charpentier source d’inspiration et ligne directrice de cet écrit sur le stalag XII D et sur cette période noire de l’histoire. Cet article est également à la mémoire de Mme Jakoby qui a probablement croisé François pendant ses années en Allemagne et qui nous a laissé un beau témoignage sur les prisonniers de Köwerich par le regard d’une petite fille posé sur eux.
Enfin, pour en savoir plus sur le stalag XII D je vous conseille …
- Commune de Loire-Atlantique au sud de Nantes ↩︎
- Brennois ou brennoises, habitants de Brains ↩︎
- Compagnie régimentaire qui regroupe le fonctionnement administratif, la logistique et le commandement du régiment ↩︎
- La ligne Maginot, du nom du ministre de la guerre André Maginot, est une ligne de fortifications construite par la France le long de sa frontière avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse et l’Italie de 1928 à 1940. Bien qu’utilisées pendant les combats de mai-juin 1940, ces fortifications n’empêchent pas la défaite française, à tel point que l’expression « ligne Maginot » est devenue synonyme d’une défense que l’on croit infranchissable, mais qui se révèle inefficace ↩︎
- Nom porté par l’armée du IIIème Reich à partir du 21 mai 1935 et jusqu’à sa dissolution officielle en août 1946 par les forces d’occupation de l’Allemagne vaincue. ↩︎
- dans le sens boutique / magasin. Les prisonniers pouvaient cantiner grâce à des billets spéciaux gagnés en travaillant dans les fermes ou les usines autour et qui n’étaient utilisables que dans le stalag. ↩︎
- La marraine de guerre faisait parvenir des lettres à son soldat mais pouvait également envoyer des colis, des cadeaux, des photographies. Cette institution est née en 1915. Très populaire, elle a laissé un souvenir marquant ce qui explique sa réapparition en 1939. ↩︎
- Le congé de captivité est conditionnel. Le prisonnier qui en bénéficie peut à chaque moment recevoir l’ordre des autorités allemandes de rejoindre un camp de prisonniers de guerre. Dans la pratique, cette clause ne fut que rarement effective. ↩︎
Quelle chance d’avoir retrouvé autant d’éléments sur ce grand-père par alliance. Ils furent si nombreux à connaître la captivité. Merci pour ce bel article. Il me donne envie d’en savoir plus sur 2 de mes oncles qui se sont retrouvés ainsi en Allemagne en 1940 malgré eux.
Un grand merci Magali pour le plongeon dans la vie de François Charpentier Maire de Brains et Grand Homme pour la commune.
Belle histoire de vie du petit gaillard.
Une salle de réunion en mairie de Brains porte son nom depuis quelle année maintenant pour lui rendre hommage. Laure Beslier
Merci Laure pour vos encouragements. J’en apprends tous les jours, je ne savais pas qu’une salle de réunion portait son nom, c’est un bel hommage. Magali
Ping : François Charpentier nous raconte la libération à Brains - maggenealogie-arbresethistoires.com
Ces deux articles sur François sont très émouvants, autant par le récit de son histoire que par ses témoignages. Merci Magali pour ce partage
Really superb information can be found on site.!
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