Dans mon précédent article, je vous ai présenté la vie de François Charpentier https://maggenealogie-arbresethistoires.com/dans-les-pas-de-francois-charpentier/. Vous avez pu y découvrir son parcours pendant la guerre et son retour à Brains1 encore occupée par les allemands.
De son vivant, François a rapporté aux Brennois2 son témoignage sur cette triste période de l’histoire. Lors de son mandat de maire ou même après, il a été très actif auprès des anciens combattants et pour la mémoire de ses camarades qui ne sont pas rentrés de la guerre.
Je vais donc lui « laisser la parole » avec trois de ses discours prononcés lors de diverses commémorations. Ainsi, le premier raconte le dernier combat de la résistance à Brains contre les allemands en août 1944. Dans le deuxième vous pourrez découvrir le récit de la journée du 8 mai 1945 dans la commune de Brains. Enfin, le dernier présente cette même journée dans le village de la Robrie.
Je vous souhaite donc une bonne lecture…
Quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres.
Alexis de Tocqueville
Le 29 août 1944 à Brains
Mesdames, Messieurs, Chers Camarades AFN., Combattants isolés.
Après cette messe et cette cérémonie au cimetière, je voudrais vous dire merci à vous tous qui nous avez assistés pour ce 49ème anniversaire de la Libération. C’est un réconfort, c’est aussi une marque de respect envers nos camarades qui eux n’ont pas eu la joie de revoir leur sol natal, et c’est encore une marque de solidarité envers leur famille. Il y a un proverbe qui dit: « il faut pardonner, mais non oublier ». Encore, merci
Maintenant, je voudrais vous parler d’un fait très marquant qui s’est passé à Brains, il y aura 50 ans le 29 Août 1994, dans le bourg de Brains.
Nous étions encore sous l’occupation allemande, mais c’était le début de la débâcle de l’armée du Grand Reich et il y avait des mouvements de troupes qui venaient de la côte et se repliaient sur Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Si je vous mentionne tout cela, vous allez voir pourquoi par la suite.
Ce sont les principaux témoins de la scène qui ont été mes aide-mémoire.
Que s’est-il donc passé le jour du 29 Août 1944 à Brains ?
Ce jour-là il y avait un mariage à Brains, le mariage de René Amailland et de Yvonne Boulanger, c’était René Chouin, boucher à Brains, qui servait le repas de noces qui se déroulait à la salle du Patronage. On battait aussi le blé à la Robrie. Rien de bien grave me direz-vous ? Eh bien non, rien d’anormal.
Mais nous y arrivons, ce matin-là, entre 7 heures et 8 heures, un side-car s’arrête devant l’hôtel des voyageurs, actuel salon de coiffure. Trois officiers allemands en descendent, entrent au café qui était tenu par Mme Bertin. Sans doute voulaient-ils se désaltérer. Bien !
Mais voilà que le groupe de F.F.I. de Brains et quelques membres du groupe de La Montagne les aperçoivent. Aussitôt, ils se concertent et décident de capturer ces trois officiers. Aussitôt quelques-uns se détachent et avertissent les gens du bourg de fermer leurs volets et de rester chez eux.
Brains place de l’église avec l’hôtel des voyageurs devant lequel les officiers allemands se sont arrêtés et la rue par laquelle ils se sont enfuis (source carte postale collection personnelle)
Alors, après que les F.F.I. eurent pris leur poste de combat autour de la place de l’Église, ils firent les sommations aux officiers pour qu’ils se rendent. Mais voilà, c’est une vrai fusillade qui les accueille, et, de part et d’autre, c’est un vrai crépitement. Un officier fut blessé, il dût passer par l’Église et sortir par la petite porte dans la petite rue. Dans sa course, il manquât de culbuter Pierre Rousseau, attrapa le chemin des Clos-mats, direction les marais du Petit-Pesle. Il arriva au Port-Hamoneau et demanda au père Pierre Charpentier de l’eau et une serviette pour se nettoyer, et pris la direction de Port-Saint-Père. Une petite omission, je vous ai dit que c’était René Chouin qui servait le déjeuner, alors Mme Chouin était descendue de bonne heure à vélo, un Peugeot tout neuf, pour préparer les tables et le couvert, et naturellement, elle avait laissé son vélo à la porte de la salle du patronage.
Mais voilà, les deux autres officiers se bagarraient avec les résistants, et Marcel Lejeau, qui venait à la Robrie donner un coup de main aux battages, commençait à baisser les oreilles, et, pour se garantir et se cacher des deux officiers qui descendaient de l’autre côté de la haie du pré à Séguineau, s’allongeât dans le fossé bordant la route à deux mètres d’eux. Pendant ce temps-là, les Sœurs qui étaient à l’école Sainte-Anne surveillaient les abords par la petite fenêtre au nord de la maison qui avait vue sur le pré à Séguineau. Lorsqu’elles aperçurent les deux officiers qui arrivaient en se cachant, elles firent monter Mme Chouin dans leur chambre au 1″ étage, en lui disant de rester enfermée, que c’est elles qui recevraient ces officiers. Elles n’eurent pas cet honneur car en arrivant à la salle du patronage, les officiers aperçurent le Peugeot, se mettent en selle, et en route!…
Il y avait eu un oubli dans toute cette bagarre, c’est le side-car qui était resté à la porte du café! Heureusement Fernand Jamet l’aperçut, et aidé, d’un résistant de La Montagne, je crois, ils le camouflent dans la cour du boulanger. Il était temps ! Une demie- heure après, un camion bourré de soldats allemands armés descendait lentement le bourg.
Et René Chouin fils, venant de faire une commission, a été arrêté à temps. Il fut attrapé par la manche par Pierre Séguineau qui restait où est le presbytère actuel, il courrait pour rejoindre sa mère au patronage.
Alors, dans l’après-midi, c’était un défilé de voitures des F.F.I. avec fusils et mitraillettes.
La journée et la nuit, nous n’étions pas rassurés, car on pouvait tout craindre. Les officiers allemands s’étaient dirigés sur Saint-Philbert-de-Grand-Lieu pour chercher du secours. Enfin, nous avons appris qu’ils avaient été arrêtés à Sainte-Pazanne, je crois, par le brigadier de gendarmerie de Bouaye et le groupe F.F.I. Alors, nous avons respiré !!!!!… La bicyclette de Mme Chouin a été restituée par le groupe de Sainte-Pazanne.
Voilà !…
Je remercie ceux qui ont bien voulu me rappeler quelques faits que j’avais oubliés, car les témoins de cette scène, il n’en reste que quelques-uns uns.
Il m’a fallu chercher !
Voilà ce qui s’est passé à Brains le 29 Août 1944, ce qui aurait pu être… un second Oradour-sur-Glane !
François Charpentier, 8 Mai 1994
8 mai 1945 à Brains
Brains Fêtes de la Libération
Le 8 mai 1945, Brains se réveille ! …
Tout d’abord, ce fut un énorme soulagement qui gonfla toutes les poitrines
La guerre est finie.
Sur le moment, les gens se sont demandé ce qui leur arrivait, ils avaient peine à y croire, « la guerre est finie ». Puis brusquement, ce fut un délire de joie, plus d’uniformes verts dans nos rues et dans la campagne, la liberté retrouvée, si chèrement payée…
Les cloches ne pouvaient arrêter leur joyeux carillon, on aurait dit qu’elles sonnaient toutes seules pour annoncer leur joie à chaque habitant. Aussitôt, dans toute la commune le travail s’arrêta, et les gens, par petits groupes, se dirigèrent vers la mairie qui fut envahie. On eut l’idée de prévenir les responsables des différents groupements. Quelques heures plus tard la place de l’église était envahie à son tour.
Un feu de joie fut allumé au milieu de la place et une ronde de joie se forma, il y en a qui approchèrent trop près et brulèrent leurs chaussettes.
Comme vous le pensez, la ronde fatigua les assistants et le feu dessécha les gorges, il fallut les rafraichir… Heureusement, les cafés étaient à proximité. Pendant ce temps les heures passèrent et chacun rentra chez lui…. De bonne heure… le matin, et comme vous le pensez… bien fatigué…
Un autre fait se déroula: ces jours de fête correspondaient avec les Rogations, et à cette époque, pendant trois jours, nous faisions des processions à travers champs sur toute la commune, avec la croix et la bannière. Cette année-là, pour fêter la Libération, nous avions sorti le drapeau Bleu, Blanc, Rouge, qui nous rappelait bien des joies mais aussi bien des peines.
Il y a 50 ans de cela aujourd’hui, dans notre bien-être, nous n’avons pas oublié quelque peu ces jours de joie. Certes c’était le retour de nos jeunes soldats qui venaient de passer presque un an dans les abris, les tranchées, entre les blockhaus de la ligne Maginot ou sur la frontière Belge. Hélas quatre camarades manquaient à l’appel, morts de maladie ou tombés au champ d’honneur. C’était le retour de nos prisonniers après cinq années passées dans les camps ou au travail dans les kommandos…
Pour eux, pour leur famille, nous leur devons le respect.
Il y a un proverbe qui dit: « il faut pardonner, mais ne pas oublier » !…
François Charpentier, 8 Mai 1995
8 mai 1945 à la Robrie, village de Brains
La Libération vécue par les habitants de la Robrie.
Il y a 50 ans, à l’annonce de la reddition de l’Allemagne Nazie, comment les habitants de la Robrie ont-ils réagi?
On en parlait depuis quelques jours, mais on n’y croyait pas !
Les choses étaient allés si vite, il y avait tellement de bobards qui circulaient. Aussi lorsque l’on entendit les cloches carillonner, ce fut la surprise! Puis on se ressaisit, alors là c’était la joie, le délire. Je crois que tous les habitants étaient dans la rue, et le mot qui revenait sur toutes les lèvres, « la guerre est finie », nous avions peine à y croire!
C’était la France libérée, la Liberté retrouvée !…
Dans les premiers jours qui suivirent, nous étions tous un peu égarés. A la Robrie, comme ailleurs, il y eut beaucoup de commentaires sur la mort d’Hitler. Nous n’étions pas assurés qu’Hitler soit bien mort, suicidé ? brûlé vif ?…
Puis, dans les jours qui suivirent, dans beaucoup de villes, villages, on organisait des fêtes avec l’effigie d’Hitler que l’on brûlait. Puis tout à coup, ces commentaires, qui se faisaient dans les caves le soir, donnèrent une idée à quelques-uns. Et si on brûlait Hitler pour marquer cet événement ? L’idée fit le tour du village et on commença à étudier l’organisation.
Il fallait trouver un peintre. Un voisin se porta volontaire pour faire le portrait d’Hitler, presque grandeur nature. Un autre eut l’idée de faire un défilé, mais il manquait un moyen de transport. Aussitôt un volontaire s’offrit avec cheval et carriole. Il n’y avait plus qu’à établir le parcours, ce qui fut fait rapidement. Départ de la Robrie jusqu’au Grand-Pesle. Là il y avait une pause pour souffler un peu et se rafraîchir. Il y avait une cave tout près, l’arrêt était bien choisi, une fois reposés et bien désaltérés, retour à la Robrie, défilé jusque dans le chemin de la Rigauderie, puis demi-tour, direction le Landa où était dressé le bûcher. C’est un prisonnier qui alluma le bûcher. Alors tous les présents se donnèrent la main pour former un cercle et la ronde commença. Elle dura le temps que le bûcher brûla!
Mais voilà, nous n’allions pas nous quitter comme ça ! Nous organisâmes un bal sur la place devant chez Pierre Lebreton (actuellement Christian et Laurence Lemonnier). Deux musiciens s’étaient présentés pour animer les danses. Et en avant la musique, ça tournait, pas de temps perdu ! Il fallait aussi se rafraîchir ! Nous avions fait une collecte et les boissons étaient gratuites, le bar était installé dans le bâtiment qui sert d’appui à l’aubette.
D’un autre côté, un groupe de dames avait fait des gâteaux et chaque habitant de la Robrie avait eu sa part, les absents comme les présents.
Je peux dire qu’une journée de joie et de solidarité comme celle-là ne s’oublie pas. Je crois qu’elle se termina vers une heure du matin, la fatigue commençant à se faire sentir!…
J’avais oublié, il faisait noir, mais nous avions l’éclairage! Un projecteur était installé dans un grand chêne qui se trouvait en face de l’aubette, de l’autre côté de la route. Au défilé, nous avions une trompette pour marquer le pas.
Je m’excuse de ne pas citer les noms, mais les témoins de cette scène se reconnaîtront facilement.
François Charpentier, Avril 1995
Ailleurs en Loire-Inférieure3
Lundi 30 avril, les Soviétiques envahissent Berlin. Hitler se suicide.
Le 7 mai 1945 à 2h41, l’Allemagne capitule donc sans condition.
Le 8 mai 1945, l’armistice est proclamé. On annonce alors la fin de la guerre.
Cependant, ce n’est pas encore le cas pour la Poche de Saint-Nazaire4. En effet, le 7 mai à 13h, les parlementaires alliés rencontrent des représentants allemands. Au grand étonnement des Alliés, aucun ordre de capitulation ne leur est parvenu. Avant de donner une réponse, ils doivent se référer à leur supérieur, le Général Junck5, et s’engagent donc à leur répondre le lendemain. Les Alliés réclament qu’un cessez le feu soit observé en attendant mais là encore ils doivent patienter jusqu’à 18h pour avoir une réponse.
18h : Les allemands refusent le cessez le feu. Il donneront leur réponse pour la capitulation le lendemain.
(source photo : L’avenir de l’ouest 12 mai 1945)
Le 8 mai à 13h : trois officiers allemands se présentent devant la maison de Francis Moisan, au lieudit Les Sables à Cordemais. Face à eux, deux officiers américains, un interprète et un capitaine français. Sur une table, construite à la hâte avec des planches du grenier de la maison, le protocole de reddition est signé à 13h30. Le cessez le feu entre alors en vigueur dès 14h.
Ainsi, les allemands ont jusqu’au 10 mai pour déminer l’accès à la Poche et se constituer prisonniers.
Le 11 mai à 10h : la cérémonie de la reddition se déroule donc à l’hippodrome du Grand Clos à Bouvron. Junck y déclare alors :
« Conformément à la capitulation signée à Cordemais le 8 mai, je remets entre vos mains les forces armées allemandes qui étaient sous mes ordres à Saint-Nazaire. En symbole de cette reddition je vous remets mon arme personnelle. Elle n’est pas chargée et la sécurité est mise. »
Les troupes alliées rentrent enfin dans le périmètre et la poche de Saint-Nazaire est libérée.
(source photo le phare de la Loire du 22 mai 1945)
Le 8 mai 1945 marque donc la fin d’un des conflits le plus meurtrier que l’humanité n’ai jamais connu. Cependant, les cicatrices resterons longtemps dans les mémoires que ce soit celle des soldats, des prisonniers, des déportés ou des familles de ceux qui ne sont pas revenus.
Chaque 8 mai, la France rend un hommage à toutes ces femmes et ces hommes dont le courage nous a libéré.
En mémoire des 4 Brennois disparus dans ce conflit : Pierre Colin, Henri Tenou, Stéphane Thabard et Georges Michaud… et de toutes les personnes qui ont souffert durant ces années noires.
Merci à ma fille Faustine Charpentier pour le travail sur les illustrations et à Gaby et Daniel Rondeau pour les archives de famille.
- Brains est une commune de Loire-Atlantique au sud de Nantes. En 1946 à la sortie de la guerre elle comptait 1041 habitants. Lors du dernier recensement en 2021 elle comptait 2811 habitants. ↩︎
- Brennois ou brennoises, noms des habitants de Brains ↩︎
- Loire-Inférieure qui devient la Loire-Atlantique en 1957. ↩︎
- La poche de Saint-Nazaire est, à la fin de la Seconde guerre mondiale, du mois d’août 1944 au 11 mai 1945, une zone de résistance des troupes allemandes repliées autour de Saint-Nazaire, de part et d’autre de l’estuaire de la Loire. Formée autour du port de Saint-Nazaire et de sa base sous-marine, elle s’étend jusqu’à La Roche-Bernard au nord, Saint-Omer de Blain et Cordemais au nord-est, Frossay au sud-est et Pornic au sud. ↩︎
- Le général Werner Junck (28 décembre 1895 à Magdebourg – 6 août 1976 à Munich) est un Generalleutnant de la Luftwaffe pendant la seconde guerre mondiale. Il a également combattu lors de la première guerre mondiale. ↩︎
Magnifique témoignage
Félicitations Magali
Merci Valérie pour tes encouragements, à bientôt 😀
Encore une belle page d’histoire toujours aussi bien contés et avec de magnifiques temoignages. Merci
Merci Pascal, je crois que François a laissé ces écrits pour qu’ils soient partagés.