… Le feuilleton fleuve de l’année 1925
En ce début d’année, alors que l’avenir s’ouvre timidement sur une ère incertaine, je vous invite à remonter le fil du temps. Transportons-nous un siècle en arrière, à une époque où le tumulte de la Grande Guerre commence à s’effacer, laissant place à d’autres préoccupations. On murmure encore peu, mais de manière de plus en plus inquiétante, sur les ombres montantes du fascisme et du nazisme, présages des tempêtes à venir. Et pourtant, dans ce contexte troublé, une étoile s’élève et capte l’attention : Joséphine Baker1 fait sensation à Paris avec sa flamboyante Revue Nègre2, offrant au monde une lueur d’éclat et de modernité.
Mais loin des lumières et du tumulte parisien, en Loire-Inférieure3, le début de l’année s’écrit sous un tout autre registre, plus sombre, presque irréel. Une nouvelle frappe les habitants comme une détonation. Un crime effroyable vient d’être commis. Dans le calme apparent de la commune de Paulx4, une châtelaine, Madame de la Biliais, a été retrouvée assassinée dans sa propre demeure.
Qui aurait pu perpétrer un acte si cruel ? Quelles étaient les raisons de ce drame ? Les spéculations vont bon train. Très vite, la région entière se passionne pour cette affaire, et la presse s’en empare, tissant autour de cet assassinat un feuilleton captivant, riche en mystères et en retournements.
La Caraterie
C’est dans cet écrin de campagne que débute l’histoire de l’assassinat de Madame de la Biliais.
En effet, au cœur de la campagne paisible de Paulx se dresse la Caraterie. Cette demeure entourée de douves médiévales se niche dans un écrin de verdure. Ce lieu empreint de noblesse appartient à M. Léon de la Biliais5, conseiller général de Machecoul et maire de Saint-Étienne-de-Mer-Morte. Avec son allure seigneuriale, cette maison forte témoigne d’un passé riche et prestigieux. Mr de la Biliais l’a reçu en dot lors de son mariage. En effet, ce château appartient depuis des générations à la famille maternelle de son épouse.
Cet édifice s’élève majestueusement sur une plateforme entourée d’un miroir d’eau, évoquant l’élégance des forteresses d’autrefois. Son architecture se compose d’un corps de logis rectangulaire, solidement posé sur un soubassement à deux niveaux. Cela confère à l’édifice une assise robuste et imposante. Une série de lucarnes ponctuent le toit à combles finement ouvragées, ajoutant une touche de raffinement à l’ensemble. De chaque côté, deux pavillons rectangulaires encadrent harmonieusement la structure principale, renforçant l’équilibre et la symétrie de cette demeure noble.
Le château que l’on admire aujourd’hui, édifié au XIXe siècle, est en réalité une reconstruction. Il remplace un édifice plus ancien, tragiquement détruit par un incendie lors de l’insurrection royaliste de 1832, épisode tumultueux de l’histoire locale.
Les habitants de la Caraterie
Le 16 janvier 1860, la jeune Valentine Marie Pauline Descrots d’ Estrée âgée de 20 ans épouse Henri Le Loup De La Biliais de quatre ans son ainé. La jeune fille est encore mineure, en effet à cette époque la majorité est à 21 ans. Tout le gratin de la Loire-Inférieure est présent. La vie s’annonce heureuse pour le jeune couple. Un an après leur union, une petite Isabelle voit le jour, elle deviendra religieuse. Suivent ensuite Aimée en 1866 et Léon en 1873. Aimée se mariera et passera sa vie à Redon tandis que son frère suivra les traces de son père et se lancera dans la politique.
Henri de la Biliais
Quelques années plus tard, la famille s’installe à Paulx dans le sud de la Loire-Inférieure. Ils résident alors dans le château de la Caraterie. Henri, personnalité locale, fut tour à tour : conseiller général, député et maire de Machecoul6. Il a marqué la petite commune puisqu’il est l’un des fondateurs de la Société des courses qui voit le jour en 1885. L’hippodrome, alors naissant, n’était autre qu’un champ appartenant au propriétaire de la Caraterie. Il offrait un écrin modeste mais prometteur aux premières compétitions équestres.

Dans la ville, une rue porte fièrement le nom de ce président fondateur, qui fut également maire de la commune pendant 36 années, de 1871 à 1907, laissant une empreinte durable dans l’histoire locale.
En 1913, animé par le désir d’améliorer le confort des spectateurs et de magnifier cet espace dédié aux courses, Henri de la Biliais fait ériger les premières tribunes sur l’hippodrome, transformant ainsi ce lieu en un véritable théâtre de l’élégance et de la compétition sportive qui perdure aujourd’hui.
(Mr de la Biliais à l’inauguration du champs de course – source : illustration d’Armand Pavageau)
Valentine de la Biliais
Valentine, de son côté, mène une vie bourgeoise comme toutes les femmes de sa condition. Elle participe à l’éducation de ses enfants et à la vie publique de son époux. Elle sera par exemple la marraine d’une des cloches de l’église de la petite commune offerte par Henri pour l’un des deux clochers. Tout le monde connaît la châtelaine dans le bourg, on la regarde passer avec le respect dû à son rang. Mme de la Biliais participe à toutes les bonnes œuvres de son village. Elle sera d’une grande aide envers ses concitoyens à la sortie de la grande guerre.
« Je suis le bourdon de la Trinité. Je m’appelle Honoré Marie, J’ai eu pour parrain Mr Henri Lavigne, le curé d’alors, doyen de Machecoul et Mr François Blanchard chanoine ancien vicaire et ancien supérieur du collège et de tous les enfants de la paroisse. Pour marraine Mme Valentine D’ Estrée épouse de Monsieur Henri de la Biliais député conseillé général et maire de Machecoul et Mlles Joséphine et Mélanie de Reliquet en souvenir de leur mère Céline Dromery. Je suis le produit des offrandes des paroissiens.«
Devenue veuve en 1913, Mme De La Biliais continue de résider à la Caraterie. En effet, elle y reste jusqu’au mariage de son fils. Souhaitant terminer ses jours loin de l’intimité du couple, elle déménage dans une maison plus modeste qui se situe sur la propriété. De plus, elle est très pieuse et la proximité de sa demeure avec l’église lui permet d’assister à toutes les messes notamment à la première de la journée, dès 7h30.
Il lui arrive de sortir dans le bourg, attirant parfois les regards par son apparence simple et rustique, bien éloignée de ses origines nobles. Pourtant, personne ne se permet de la juger, tant son cœur généreux inspire le respect.
Malgré des revenus modestes, tirés d’une rente de six mille francs assurée par ses enfants, Mme de la Biliais consacre une part de ses moyens à aider les plus démunis. Sa bonté et sa charité sans faille font d’elle une figure respectée et aimée. Elle est toujours prête à soulager la misère autour d’elle.
Marie Musseau
La seule domestique au service de Mme veuve de la Biliais est Marie Musseau. Cette jeune femme robuste et corpulente de vingt-quatre ans est née au Bois-Guérin, à trois kilomètres de Paulx. Ses parents, modestes cultivateurs, y exploitent une propriété de six hectares.
Dans la région, on désigne sa famille d’un ton teinté de méfiance : les « Musseau ». Originaires de la Garnache7, un bourg vendéen voisin, ils se sont installés au village. Cependant, leur présence a toujours suscité une certaine réserve. Ils sont perçus comme différents. Ils restent en marge de la communauté rurale, leurs voisins les observant avec suspicion et se tenant à distance.
C’est dans cet environnement isolé que grandit Marie Musseau. Très jeune, elle quitte l’école, vers l’âge de dix ans et demi, avec une instruction à peine suffisante. Dès lors, elle consacre son temps à aider ses parents et ses sœurs dans les rudes travaux agricoles.

À vingt et un ans, Marie décide de quitter les champs pour entrer au service de Mme de la Biliais. Enfin ce sont ses parents qui la placent là : « ça fera toujours une bouche de moins à nourrir et comme elle ne trouve pas de mari… ». La modestie des gages offerts par la veuve a jusque-là rebuté de nombreuses jeunes filles. Pourtant, Marie accepte cette position : elle reçoit cinquante francs par mois, ainsi que la nourriture et le logement. Ainsi commence une nouvelle vie pour cette paysanne déterminée, prête à servir avec dévouement dans une maison où d’autres n’ont pas voulu s’aventurer. Bien évidement, elle n’a aucune expérience et ne sachant pas vraiment lire, elle ne connait pas les us et coutumes nécessaires à un tel emploi.
8 janvier 1925 : découverte de Mme de la Biliais
Le 8 janvier 1925, alors que l’aube effleure à peine le paisible village de Paulx, Marie Musseau, domestique de Mme de la Biliais, donne l’alerte. Elle prétend avoir découvert le corps sans vie de sa maîtresse, gisant dans une mare de sang. La scène, effroyable, révèle une violence inouïe. Le crâne de l’octogénaire a été brutalement fracassé. Son visage à peine discernable sous le poids d’un égouttoir – un lourd meuble en bois – et d’une échelle, apparemment jetés sur elle pour dissimuler ou alourdir sa dépouille.
Cette découverte macabre, survenue dans la quiétude de la maison, plonge immédiatement la communauté dans une stupeur glacée. La brutalité du crime, exacerbée par la vulnérabilité de la victime, laisse transparaître une rage démesurée. Cela éveille les premières interrogations sur les circonstances de cette tragédie et sur l’identité de celui ou celle qui aurait pu commettre un tel acte.
Pour la suite de ce récit, je me suis appuyée sur la presse de l’époque. En effet, le dossier judiciaire de cette affaire n’est pas consultable avant le mois de janvier 2026.
8 janvier 1925 : que sait-on du crime ?
Le matin du 8 janvier 1925, Marie Musseau accourt chez ses voisins. La jeune fille hors d’haleine explique alors dans un souffle qu’elle vient de trouver sa maitresse morte sur le sol du cellier. Ses voisins courent à leur tour vers la petite maison afin de voir ce qui se passe et venir au secours de la pauvre femme.
Malheureusement, ils vont tomber sur une scène digne d’un film d’horreur. En effet, la vieille dame est allongée sur le sol, du sang s’échappant de son crâne qui selon les journaux « est en bouillie ». Un meuble de cuisine, que l’on appelle un « égouttoir » et qui servait à l’époque à faire sécher la vaisselle fraîchement lavée, la recouvre partiellement. Il est renversé et appuyé sur la tête de la morte dans une position qui ne laisse aucun doute que c’est là l’instrument du crime.
Aussitôt le médecin du village est appelé mais vu les circonstances, il refuse de donner le permis d’inhumer. Les causes de la mort ne lui semblent pas très claires.
A son tour, il fait mander la gendarmerie. Les enquêteurs accourent aussitôt vue la renommée de la famille concernée. Ils commencent par interroger la personne qui a découvert le corps, Marie Musseau. Cette dernière raconte alors sa version de l’histoire :
« Ce matin, comme à son habitude ma patronne s’est levée très tôt. Mme de La Biliais m’a alors demandé d’aller chercher un chien chez son fils à la Caraterie à un kilomètre de distance de la maison.
(Elle était chargée de garder le petit chien de son fils – Grenade – pendant que ce dernier était en voyage à Paris pour y voir son fils étudiant à la capitale. Malheureusement le chien supportait mal la promiscuité de la petite maison et préférait s’échapper et retourner courir dans la propriété de son maître.)
Quand je suis rentrée vers 7h30, je suis tombée sur ma patronne en bas de l’escalier du cellier. Elle a sûrement du vouloir descendre seule dans cette pièce et elle aura chuté dans l’escalier ».
Mr de la Biliais est rappelé, on lui apprend le décès de sa mère dans des circonstances dramatiques. La famille rentre donc de Paris. Les enquêteurs avancent à pas feutrés dans leur enquête, fort peu habitués à un fait divers de ce genre.
9 janvier 1925 : les investigations débutent
Les gendarmes se contentent pour le moment de la version de la jeune bonne. Cependant, la police de Nantes est appelée en soutien, qui vient accompagnée d’un médecin légiste. Ce dernier confirme les doutes du médecin de famille, Mme de le Biliais a bien été assassinée. L’enquête commence alors. Comme on dirait aujourd’hui, la maison est entièrement perquisitionnée. On y retrouve de l’argent et des objets de valeurs à porter de mains. Le crime n’est donc pas crapuleux. Les enquêteurs interrogent ensuite le voisinage. Ils sont perplexes, personne n’a vu Marie Musseau ce matin là, ni au château ni sur la route. De plus, elle est revenue sans le chien. Aurait-elle menti ? La jeune femme était couverte de sang sur ses vêtements et sur ses mains. Cela peut-il simplement s’expliquer par le fait qu’elle ait tenté de secourir sa patronne inanimée ?
Les enquêteurs poursuivent leurs investigations en cachant leurs doutes à la jeune femme. Ils continuent de la surveiller en cachette et cela porte ses fruits. En effet, le soir même, ils interpellent la suspecte munie d’un paquet de linge sale. Elle déclare alors que c’est le linge de sa patronne qu’elle veut nettoyer avant de le remettre à ses enfants.
Cependant, dans le paquet de linge, bien enroulé, ils découvrent son tablier couvert de tâches de sang semblables à celles qui étaient sur ses mains et sa robe. C’est la preuve qu’elle le portait quand elle a découvert le corps. Or, selon ses dires, cela ne peut être possible. En effet, elle a déclaré qu’elle est rentrée et a découvert sa patronne immédiatement. Elle devait donc porter un manteau en ce mois de janvier mais pas son tablier pour sortir dans la rue.
10 janvier 1925 : l’assassinat de Mme de la Biliais élucidé ?
Le matin du 10 janvier, la brigade de la police judiciaire de Nantes vient chercher la jeune femme. Elle est emmenée pour un interrogatoire plus poussé. Au début, Marie résiste et maintient sa version des faits. Les enquêteurs la mettent devant les faits, notamment en lui montrant son tablier taché du sang de la vieille femme. Elle résiste pendant quatre heures mais elle finit par avouer. Oui elle a bien tué sa patronne.
Voici ses dires rapportés ici : « Mme de la Biliais s’est levée de bonne heure comme à son habitude pour aller à la première messe. Elle m’a demandé d’aller chercher le chien « Grenade » qui était reparti au domaine de la Caraterie encore une fois. Elle trouvait que je n’allais pas assez vite et elle m’a frappée avec la pelle de la cheminée alors prise de rage j’ai pris le tisonnier et l’ai frappée à la tête de colère c’était un accident ».
Le policier lui demande alors comment le vaisselier a pu terminer sur sa tête. Là, elle perd ses moyens. Enfin, elle finit par préciser les faits.
« Madame était une mauvaise femme. Elle me critiquait tous les jours, elle trouvait que je travaillais mal et pas assez vite, je voulais qu’elle meure ! Je le comprends ce stupide chien qui voulait vivre dans la grande maison, celle-ci est lugubre. Je n’étais pas bien moi non plus ici ».
La réaction des villageois
Bientôt, toutes les conversations bruissent de la culpabilité de la bonne dans la petite commune. Certes on trouvait Mme de la Biliais un peu hautaine ou froide mais elle œuvrait tellement pour les pauvres de la commune que personne ne pouvait le lui reprocher. Après tout elle est la fille d’un comte, la veuve de l’ancien maire et la mère d’un député. Cela impose le respect.
Du côté de la jeune Marie, les avis divergent. Personne ne peut croire qu’elle ait pu tuer quelqu’un. On la décrit comme une fille un peu rustaude, sans manières, un peu simplette. Certes, leurs voisins tiennent sa famille en quarantaine, mais sans raison autre que leur mauvais caractère. Ils vivent à part mais ne sont pas bien méchants. Le frère de Marie est même considéré comme arriéré mental et il est hospitalisé à l’hôpital St Jacques à Nantes depuis tout jeune.
Les villageois ont souvent entendu Mme de la Biliais se plaindre de sa servante. Selon leurs dires, elle l’a plusieurs fois mise à la porte mais celle-ci revenait le lendemain comme si de rien n’était et la vie recommençait. La modeste rente de Mme de la Biliais ne lui permet pas de faire la difficile sur son employée, et l’âge aidant sa patience et son caractère n’allait pas en s’arrangeant.
30 mars 1925 : le procès de l’affaire de Mme de la Biliais
Version des enquêteurs
Lors du procès, les témoins défilent. Il y a tout d’abord les enquêteurs qui expliquent le déroulé de leur enquête et relatent les aveux de la suspecte que la presse a retranscrit ainsi :
« Marie Musseau, après un interrogatoire serré a avoué avoir tué sa patronne au cours d’une discussion qui s’est envenimée entre elle et Madame de la Biliais à propos du feu qu’elle avait tardé à venir allumer dans sa chambre.
« Elle me dit que j’étais paresseuse, indolente8 et sourde à ses reproches ! »
Marie Musseau raconte qu’elle lui répond alors par des paroles désagréables. La discussion s’envenime et pendant que la jeune fille active le feu, Madame de la Biliais, se lève pour lui porter un coup de poing dans le dos. Marie Musseau abandonne alors la chambre et elle se rend au cellier pour y prendre des rondins. Madame de la Biliais l’y poursuit, continuant de la tancer. La jeune fille, perd alors patience et frappe l’octogénaire.
Son intention n’est pas de la supprimer mais quand elle voit sa patronne rouler à ses pieds, elle perd la tête et la frappe avec une sauvagerie que Marie Musseau ne s’explique pas elle-même. Madame de la Biliais, a précisé encore Marie Musseau, fut un long moment avant de rendre son dernier soupir. La jeune servante organise alors la mise en scène qui doit, dans son esprit, détourner l’attention de la justice. »
Échange entre Mr Rémy président du tribunal et Marie Musseau
Le début de l’interrogatoire n’est qu’un monologue de Mr Rémy qui explique le crime à la cour et le déroulé de l’enquête. Marie recroquevillée sur le banc des accusés acquiesce de temps en temps. Cependant au moment où ce dernier l’interroge, elle commence à répondre :
« J’étais insuffisamment nourrie. Je n’avais pas le nécessaire tous les jours ! J’effectuais des travaux rudes que je trouvais excessifs. Je bêchais le jardin. »
Pourquoi ne vous êtes-vous pas plainte demande le magistrat ? « Je ne me plaignais jamais. »
Marie Musseau a prétendu qu’elle avait été maltraitée. Cependant elle a déclaré à l’instruction que sa maîtresse était très bonne pour elle. Le rapport des deux femmes était très tendu aux approches du 8 janvier. Madame de la Biliais avait des sautes d’humeur et la servante manifestait une indocilité chaque jour plus marquée.
« Non, proteste Marie Musseau j’ai toujours bien obéi à ma patronne ! »
Le 6 janvier, un fort différent éclate entre l’octogénaire et la jeune fille à propos d’une pièce où celle-ci couchait et s’y trouvait assez bien. Elle a dû l’abandonner, sur l’ordre de Madame de la Bilais, pour un galetas9 ouvert à tous vents au-dessus de la chambre de sa maîtresse.Celle-ci se servait d’un manche à balai pour frapper au plafond afin d’appeler sa bonne dès les premières heures du matin.
Témoignage de la famille de Mme de la Biliais
Monsieur de la Biliais, fils de la victime confirme que Marie Musseau mangeait à sa fin. Il dit qu’elle avait des occupations nullement pénibles et qu’elle n’était pas inintelligente. Selon lui, elle savait soigner une malade et acheter des poulets au marché. Elles ne se trompait ni dans l’un ou l’autre cas. Madame de Caslou, sœur du précédent témoin et domicilié à Redon, estime que sa mère était une femme parfaite.
Les villageois s’expriment au sujet de Mme de la Biliais et de Marie Musseau
Plusieurs proches de feue Madame de la Biliais présentent celle-ci comme « une personne vive d’humeur, un peu singulière et d’une grande bonté d’âme ». En ce qui concerne l’inculpée, ils la voient comme « une fille brutale inintelligente mais non folle ». Ils s’accordent sur le fait que Marie Musseau ne faisait aucune besogne pénible chez Madame de la Biliais et que celle-ci était incapable de la frapper. Selon eux, l’octogénaire se plaignait souvent des brutalités de langage et des mauvaises manières de sa bonne. Mademoiselle Raymonde Fleury, voisine des deux femmes, rapporte que Marie Musseau échangeait volontiers avec elle, bien qu’elle ne fréquentait personne d’autre. Elle voit en elle une jeune fille comme les autres mais très taciturne.
Le médecin-psychiatre nous donne son avis
Le docteur Eugène Coulonjou, médecin psychiatre, directeur de l’asile départementale d’aliénés de Saint-Jacques, témoigne alors au procès. Sa déposition était attendue avec une certaine curiosité. Elle décidera semble-t-il de l’issue de ce procès. Le témoin voit dans Marie Musseau une fille atteint de débilité mentale parfois entraînée par une irritabilité excessive due à une indisposition de nature organique et permanente. Il dit que c’est une triste, une insuffisante cérébrale. Elle est incapable de volition10 raisonnée car elle n’a pas une entière liberté d’agir et de se décider. Le médecin considère en conclusion de ses observations que la responsabilité de la servante est atténuée. Il regrette toutefois qu’il n’existe pas en France de maisons spéciales de rééducation pour les insuffisants cérébraux tels que l’inculpée.
Docteur, intervint alors Mr Laroque procureur de la République, la place de Marie Musseau est donc dans une prison ?
Oui, à défaut d’autres établissements plus appropriés.
Mr Bricard, avocat de la défense, questionne alors la cour : comment le docteur, qui estime que l’inculpée doit être emprisonnée, a pu écrire dans son rapport que les peines infamantes découragent les débiles mentaux comme Marie Musseau et peuvent les exposer à la récidive ?
Chacun restera sur ses positions.
Les différentes plaidoiries
A 6h15 du soir, comme on disait à l’époque, le bâtonnier Crimail commence une remarquable plaidoirie pour la partie civile. La famille de la victime demande 1 franc de dommage et intérêt comme il est d’usage et que justice soit faite pour leur mère.
A son tour l’avocat de la défense fait une plaidoirie en faveur de sa cliente un peu simple d’esprit et qui mérite selon lui la clémence du jury.
Le verdict du procès de l’assassinat de Mme de la Biliais
Après de longues délibérations, Marie Musseau est condamnée à 8 ans de réclusion. Des circonstances atténuantes sont retenues pour déficience mentale. Son avocat rejette ce verdict et lui conseille de déposer un pourvoi en cassation pour l’invalider. En juillet 1925, ce pourvoi est rejeté et la peine de Marie est donc confirmée, elle devra effectuer 8 ans de travaux forcés.
Après avoir purgé sa peine, elle revient sur Nantes. Elle réside avec son frère lors des bombardements de 1943 où celui-ci trouve la mort. A cette époque elle est chiffonnière. On ne sait rien de plus sur son parcours, à part qu’elle est restée célibataire et sans enfants. Elle décède à Nantes le 29 avril 1960 à l’âge de 59 ans.
100 ans plus tard…
L’assassinat de Madame de la Biliais restera gravé dans la mémoire collective comme un sombre épisode de l’histoire locale. Ce fait divers, avec son cortège de mystères, d’enquêtes tortueuses et de révélations inattendues, a marqué non seulement les habitants de Paulx et de la Loire-Inférieure, mais aussi les pages des journaux de l’époque. Bien plus qu’un simple crime, cette affaire a cristallisé les angoisses et les intrigues d’une communauté, révélant les dynamiques sociales, les rivalités et les secrets d’un territoire en pleine transition.
Cette histoire témoigne également de l’impact durable de tels événements sur l’imaginaire collectif : des générations ont continué à en parler, transformant ce drame en une légende locale. Loin de s’effacer avec le temps, cette affaire illustre comment un fait divers peut devenir un miroir des préoccupations et des émotions d’une époque, tout en s’inscrivant durablement dans la mémoire régionale gravant cette année 1925 dans l’histoire du Pays de Retz.
- Freda Joséphine McDonald, dite Joséphine Baker, est une chanteuse, danseuse, actrice, meneuse de revue et résistante française d’origine américaine, née le 3 juin 1906 à Saint-Louis et morte le 12 avril 1975 à Paris. Elle est entrée au Panthéon en 2021 pour ses faits de résistances lors de la seconde guerre mondiale. ↩︎
- La Revue nègre est un spectacle musical créé en 1925 à Paris. Par son succès et la personnalité de Joséphine Baker qui en est la meneuse, elle permet entre autres une diffusion plus large de la musique de jazz et de la culture noire en Europe. ↩︎
- La Loire-Atlantique, dénommée Loire-Inférieure jusqu’en 1957, est un département français, situé dans la région Pays de la Loire. Elle doit son nom à la présence de la Loire, important fleuve qui la traverse, et de l’océan Atlantique, qui borde sa côte, à l’ouest, où l’embouchure de la Loire forme un estuaire. ↩︎
- Paulx est une commune de l’Ouest de la France, située dans le département de la Loire-Atlantique, en région Pays de la Loire. Ses habitants s’appellent les Palucéens et les Palucéennes. Paulx comptait 1 965 habitants au recensement de 2014. ↩︎
- Né le 30 novembre 1873, il est décédé le 29 juin 1928, à l’âge de 54 ans ↩︎
- Machecoul est une commune de l’Ouest de la France, située dans le département de la Loire-Atlantique, en région Pays de la Loire, devenue le 1ᵉʳ janvier 2016 commune déléguée de la commune nouvelle de Machecoul-Saint-Même. Ses habitants s’appellent les Machecoulais et les Machecoulaises. ↩︎
- La Garnache est une commune française située dans le département de la Vendée, en région Pays de la Loire. Aujourd’hui petite ville d’un peu plus de 5 000 habitants, elle fut jusqu’aux guerres de Religion des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles, une seigneurie redoutée, et la ville la plus importante de la région. ↩︎
- Personne qui évite de faire des efforts ↩︎
- Logement très pauvre, sordide. ↩︎
- Acte de volonté. ↩︎
BONNE ANNEE à toi et ta famille. Encore une belle page d histoire magnifiquement comtée. C’est toujours avec un grand plaisir que je découvre ton excellent travail. VIVEMENT LA PROCHAINE ! A BIENTOT.
Quelle histoire !!!
C’est un réel plaisir de te lire …
À bientôt
Ton récit m’a rappelé une autre affaire criminelle qui elle, s’est produite au Mans.
Le tristement célèbre fait divers des soeurs Papin. Manque de chance : cela s’est passé en 1933…
En attendant, merci pour ton article si bien relaté.
A bientôt !
J’adore que l’on me raconte des histoires et tu les racontes très bien. Merci Magali.