… Née femme, devenue homme pour être libre
En ce mois de mars, et cette journée de la femme, je vais vous conter l’histoire d’une femme exceptionnelle. Elle vivra de grandes aventures mais pour gagner ce droit et cette liberté, il lui faudra être un homme. Voici l’histoire de Julienne David, fille et femme sous la révolution qui a dû s’appeler Jacques pour entrer dans l’histoire.
« L’admission des femmes à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation, et elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain. »
Stendhal
Une enfance miséreuse
La petite Julienne nait un 21 mars, à Saint-Mars-du-Désert en Loire-Inférieure. Elle éclot comme une fleur en ce jour de printemps 1777.
Acte de naissance de Julienne David (source Arch. Municipales de Nantes)
Son père est Pierre David, laboureur à bœuf1 et manœuvre2 qui se loue pour travailler dans les fermes autours de chez lui. Sa mère est Anne Bidet, lavandière et repasseuse pour les maisons aisées de la région. Julienne est la seule fille encore vivante du couple qui en a déjà perdu deux en bas âge mais elle est leur septième enfant sur dix. Comme dans toutes les familles pauvres de l’époque, son éducation est très limitée. La petite fille travaille très tôt pour aider ses parents à subvenir aux besoins de la famille, elle aide donc sa mère à travailler le linge des voisins.
Cette existence à la Victor Hugo est déjà bien misérable mais le malheur s’abat une nouvelle fois sur cette pauvre famille. En effet, alors qu’elle n’a que 10 ans, la mort rode sur son foyer. Sur une période de six mois, Julienne perd une sœur âgée de 4 ans, une autre âgée de 6 ans et sa mère. Elle doit donc remplacer cette dernière dans ses tâches. Est-ce parce que la petite fille ne suffit pas ? Est-ce par amour ? Toujours est-il que deux ans plus tard le père de famille se remarie avec une certaine Jacquette Martin qui lui donnera un autre enfant.
« Appeler les femmes le sexe faible est une diffamation ; c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes »
Gandhi
Le début de l’aventure : les guerres de Vendée3
Julienne qui est âgée de 12 ans à cette époque, ne supporte pas cette vie de misère et la présence de cette belle-mère qu’on lui impose. Elle rêve d’aventure mais qu’est-ce que l’aventure pour une enfant de 12 ans dans la campagne en cette période pré-révolutionnaire ? Elle voit le monde gronder autour d’elle et se sent passive. Sa décision est prise et un beau matin, alors âgée de 16 ans, elle s’enfuit de la maison pour rejoindre les révolutionnaires vendéens. Mais, elle ne peut arriver là-bas et combattre comme ça en pauvre campagnarde, elle décide alors de se faire passer pour un homme. C’est la naissance de Jacques.
Elle a une carrure assez masculine, elle sacrifie ses longs cheveux et prend les vêtements de ses frères. Voilà Jacques David. Personne ne remarque le subterfuge et Julienne/Jacques, entre dans la bataille. Bien sûr, même en étant grimée en homme, elle reste assez fluette et ne participe pas au combat actif. Toutefois, elle fait des missions pour le camp royaliste, telles que porter la poudre dans les zones de combats, apporter les messages d’un campement à l’autre…
Pour cette jeune fille, c’est cela la liberté et l’aventure.
L’arrestation
Malheureusement cela ne dure pas. En 1794, les troupes de la jeune république l’arrêtent avec ses compagnons. Contenu de son jeune âge, elle est condamnée à la déportation, sans que son statut de femme ne soit découvert. On la prend alors pour un enfant, un jeune garçon. Elle vient ainsi grossir les rangs d’une longue colonne de déportés, composée principalement de femmes et d’enfants, qui se met bientôt en marche. Alors que le cortège de prisonniers traverse un bois touffu, la jeune fille en profite et s’évade.
C’est le retour à l’anonymat.
Pour subvenir à ses besoins, Julienne se loue dans les fermes pendant 3 ans pour garder le bétail. Mais, cette vie simple n’est pas pour une femme comme elle. La vie à la campagne ne lui va décidément pas.
Retour à Nantes et début de l’aventure maritime
Julienne qui rêve toujours d’aventure décide alors de reprendre le personnage de Jacques. Elle regagne Nantes assez rapidement, reprend ses frusques masculines et se fait engager comme novice4 sur le navire « la jeune-Agathe » armé par Dessaulx. On la retrouve sous le pseudonyme «Le Jacquot » ou « Le roulier Jacquot ». Il flotte sur ces quais nantais un irrésistible parfum d’aventure que Julienne a respiré un jour et qu’elle n’a jamais oublié. Elle embarque ensuite sur « la Main de Dieu » et touche ses parts de prises comme ses collègues. Hélas, une circonstance encore inconnue à ce jour trahit son incognito. Son secret est découvert et sa carrière si bien commencée tourne court.
Elle est débarquée à Nantes et le rôle d’armement5 précise alors :
Julienne David se bat pour son pays
Le « novice Jacques David » a essayé le rude métier de marin. Mais, travaux pénibles, veilles, insomnies, tempêtes et batailles ne l’ont point dégoûté.
Julienne décide alors de se faire engager comme corsaire. Nous sommes en pleine période de « la guerre de course ». Ce terme désigne aux XVIIe et XVIIIe siècles les actes de piraterie perpétrés par des marins contre les ennemis de leur pays, avec l’agrément de leur souverain. Ces marins sont appelés « corsaires » (du latin cursus qui signifie course). Les corsaires sont différents des pirates, ce qu’ils gagnent par leurs forfaits sont pour le roi ou pour leur pays. Parmi les corsaires les plus fameux, René Duguay-Trouin6, Jean Bart7 ou encore Robert Surcouf8 sont restés dans l’histoire. Julienne ou Jacques part donc se battre contre les anglais. Elle va se battre, avec toute la force dont elle est capable jusqu’à ce que le navire soit pris par l’ennemi.
La vie dans les geôles anglaises
Elle et ses compagnons sont débarqués à Portsmouth9 en 1803. C’est là-bas que la puissance de son caractère et sa volonté ressortent le plus. En effet, il lui aurait suffi de dévoiler le secret de son sexe pour recouvrer sa liberté, mais elle préfère subir les tortures physiques et morales qu’éprouvent ses compagnons d’infortune plutôt que de les abandonner. Elle endure des jours et des jours de douleurs et d’épreuves, croyant que si elle capitule ce sera une désertion. Malgré cette force, un triste jour, vaincue par les misères de toutes sortes et les privations intolérables, elle jette l’éponge. C’est ainsi que Julienne attente à sa vie en prenant une forte dose de poison. heureusement, sa santé robuste l’empêche de succomber. Après de cruelles souffrances, revenue aux sentiments religieux de son enfance, trop oubliés, elle laissa échapper ces paroles :
Dieu ne veut pas que je meure ainsi, je ne me tuerai jamais
Julienne David
Jacques l’infirmier
Toujours connue sous le nom de Jacques et à la suite de son geste de désespoir qui l’a mené à côtoyer les infirmiers, elle devient à son tout infirmier dans la prison à Portsmouth. Pendant 8 longues années, elle se dévoue corps et âme auprès de ces pauvres prisonniers souvent en fin de vie.
Son calvaire aurait pu durer encore longtemps si le hasard n’avait pas frappé à sa porte. Un beau jour, un autre prisonnier, originaire également de Saint-Mars-du-Désert, la reconnaît. Il raconte à ses geôliers qu’une femme est prisonnière dans leurs murs. En raison de sa bonne conduite et de ses services, elle est de la première catégorie des prisonniers destinés à rentrer en France.
L’aventure fait grand bruit dans la ville de Portsmouth. Les salons ne parlent que du marin redevenu femme française. Chacun veut la voir, c’est à qui la recevra, à qui lui fera fête. Julienne, bien tournée, fort avenante, et même assez jolie, reçoit de nombreuses avances, entend des propositions et des sollicitations de plus d’une sorte. Cependant, elle a été corsaire !… Elle aime donc la France, et, par conséquent, déteste les anglais. Elle refuse toute espèce d’établissement en Angleterre, où certainement elle aurait pu vivre dans l’aisance, pour revenir dans son pays, y gagner péniblement mais honorablement sa vie.
Le retour en France
De retour en France au début de l’année 1811, elle rejoint Nantes, toujours en tant qu’homme. Elle se fait désormais appelée Jacquot et se fait embaucher par la ville pour quelques travaux de constructions. Ce travail est pénible, Julienne a presque 35 ans et son corps est usé par l’incarcération et les privations qu’elle a connu en Angleterre. Elle y travaille quelques années avant qu’une communauté religieuse ne la recueille. Elle restera auprès d’eux pendant une quinzaine d’années sous le nom de « frère Arsène », toujours sous une identité masculine.
Julienne termine sa carrière professionnelle et masculine au service du voiturier Dardarde, loueur de fiacres. Des témoignages diront à l’époque
« Souvent, on pouvait la voir avec son pantalon gris, sa blouse bleue, son bonnet de coton légèrement incliné sur l’oreille, attelant les chevaux ou les conduisant à l’abreuvoir. Sa taille haute et forte, quoique courbée et amaigrie par l’âge, annonçait une constitution vigoureuse, et la vivacité de son regard dénotait une grande énergie. »
Témoignage d’un contemporain de Julienne David
La triste fin de Julienne David
La vie d’aventure de Julienne s’achève tristement en 1843 comme l’atteste son acte de décès dans les archives municipales de Nantes. Elle décède le 23 janvier 1843 à l’Hôtel Dieu, hôpital de la ville. Elle y meurt seule, sans famille, sans proches. Comme sa vie fut solitaire, sa mort en fut de même.
Acte de décès de Julienne David (source Archives Municipales de Nantes)
Sa petite renommée acquise avec le retentissement de l’affaire de Portsmouth fit qu’elle a eut un entrefilet dans la presse locale, notamment dans le journal « LE BRETON ». Voici ce que ce quotidien en dira
« Dans la matinée du 28 janvier 1843, un modeste cercueil, recouvert de l’humble drap mortuaire des indigents, sortait de la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Nantes. Sur le drap blanc, la main bienveillante de la chère Sœur gardienne avait pieusement déposé une couronne virginale. L’enfant de chœur, d’un air distrait, portait la petite croix de bois noir, l’un des aumôniers, récitant les dernières prières, précédait le corps, que n’accompagnait nul parent, nul ami. Tel était le convoi de Julienne David. »
Article du journal LE BRETON du 30 janvier 1843
Hommage posthume
Aujourd’hui, Julienne David a laissé une trace dans l’histoire locale. Telle le Chevalier d’Éon10, son accoutrement fit sa renommée. Une rue porte son nom dans sa commune natale, Saint-Mars-du-Désert, ainsi qu’une autre à Nantes dans la ville où elle vécut une grande partie de sa vie. L’hommage de ces villes pour Julienne David est à la hauteur du courage dont elle a fait preuve. Malheureusement un généalogiste ou un historien ne se cache pas derrière chaque employé municipal… Eh oui, à St Mars du Désert, la plaque n’affiche pas sa date de naissance et de décès et pour Nantes les dates sont fausses. Cela démontre l’importance du travail d’un(e) généalogiste, qui comme un enquêteur, recherche les actes et les sources avant d’énoncer les faits. la devise de tout bon généalogiste est « la preuve par l’acte ».
- Homme qui se louait dans les fermes avec son bœuf pour labourer les terres car beaucoup de paysans n’avaient pas les moyens d’en posséder un. ↩︎
- Ouvrier agricole employé à la journée. ↩︎
- La Guerre de Vendée est une guerre civile qui a eu lieu au cours de la Révolution française dans l’Ouest du pays. Elle opposait les forces révolutionnaires à un mouvement composés de paysans et royalistes, de 1793 à 1796. Il ne faut pas la confondre avec la Chouannerie, même si les deux mouvements sont très liés. ↩︎
- Marin en apprentissage, entre mousse et matelot, âgé de 16 à 18 ans. ↩︎
- Sorte de journal de bord des navires où le capitaine doit répertorier tout ce qui embarque ou débarque (hommes, biens, armes, vivres…).
Dans l’encadré, pour le terme « la prise la Main de Dieu » : Une prise, dans le domaine militaire, fait référence à un équipement, véhicule, embarcation ou navire capturé durant un conflit militaire. Le sens le plus courant est celui d’un navire ennemi capturé comme prise de guerre. ↩︎ - René Trouin, sieur du Gué, dit Duguay-Trouin, né le 10 juin 1673 à Saint-Malo et mort le 27 septembre 1736 à Paris, est un corsaire et amiral français. Né dans une famille d’armateurs malouins. ↩︎
- Jean Bart, né le 21 octobre 1650 à Dunkerque et mort le 27 avril 1702 dans cette même ville, est un corsaire célèbre pour ses exploits au service de la France durant les guerres de Louis XIV. ↩︎
- Robert Surcouf, né le 12 décembre 1773 à Saint-Malo et mort le 8 juillet 1827 à Saint-Servan, est un corsaire, armateur et négrier français. Embarqué dès l’âge de treize ans, il devient ensuite capitaine corsaire. ↩︎
- Portsmouth est une ville portuaire et une base navale située sur la côte sud de l’Angleterre. ↩︎
- Charles d’Éon de Beaumont, dit le chevalier d’Éon, diplomate, espion, officier, et homme de lettres français, né le 5 octobre 1728 à l’Hôtel d’Uzès de Tonnerre, et mort le 21 mai 1810 à Londres. Il est resté célèbre pour son goût prononcé pour le travestissement, ce qui a amené ses contemporains à spéculer sur son sexe réel et est devenu pour les auteurs anciens, une énigme historique. ↩︎
Merci de nous avons fait découvrir cette femme hors du commun.
Quelle belle histoire ! Et tellement bien racontée ! Bravo !
Merci Magali. Encore une belle page d’histoire qui décrit bien les rudes conditions de vie de cette époque. Bravo!
Sacré personnage que cette Julienne David. Bravo pour ton article Magali !
Bravo Magali,
Toujours aussi passionnant, merci pour ce partage
Vallérie
Très intéressant , bravo et Merci Magali
Régine
Bravo Magali pour ton article! J’aime beaucoup ta dernière phrase, sur l’utilité du généalogiste!
Passionnant ; merci pour ces moments de vie partagés
Merci pour ce témoignage émouvant d’une femme hors du commun que la Grande Histoire ignore.Encore des récits comme celui-ci nous comble de joie de découvrir des personnages remarquables.😁
L’histoire de la vie de cette jeune femme méritait d’être racontée pour être connue.
Merci Magali.
Bravo Magali ! Beau témoignage ! Merci 😃
Tu as très bien fait de nous faire découvrir l’histoire de cette femme si courageuse..
Merci Magali de nous faire partager cette incroyable histoire ! Bravo pour ce beau travail de recherche
Article passionnant qui m’a complètement embarqué.Merci pour la découverte de cette personne au parcours incroyable !