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Jacques Calo ou quand la presse vient en aide à la généalogie

Comme tous les généalogistes le savent, les recherches peuvent vous mener très loin. Quand nous tombons sur une pépite, notre quête de renseignements peut parfois durer des mois, voire des années. Elle peut également nous mener à l’autre bout du monde. Pour moi, cette quête se nomme Jacques Calo et c’est la presse ancienne qui m’a aidé à le retrouver.

Ma rencontre avec Jacques Calo

Quand j’ai commencé ma généalogie il y a plus de 30 ans, mes recherches tournaient autour de la même commune. Mes aïeux étaient principalement originaire de ma commune de naissance : Fay de Bretagne. J’ai eu quelques ancêtres dans les communes autour mais tous restaient dans un rayon de 20 km maximum.

Seule mon arrière-grand-mère dont je vous ai parlé dans mon article sur ma première émotion généalogique https://maggenealogie-arbresethistoires.com/ma-premiere-emotion-genealogique-genealogie/ avait son père originaire d’un autre département : Le Morbihan. A première vue, cela ne parait pas très exotique non plus, mais il allait en être tout autrement.

Mon aïeul était donc né à Allaire dans le Morbihan. J’ai commencé par me demander pourquoi il avait quitté sa région et comment il était arrivé à Notre Dame des Landes. J’ai alors découvert que Roch Calo était le fils d’une certaine Guillemette Calo. Cette dernière vivait encore à Allaire quand il en est parti, mais un détail m’a interpellée, il était né de père inconnu.

A la fin du XIXème siècle, cette situation familiale devait beaucoup faire parler dans les campagnes. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque Guillemette a eu 6 enfants, tous nés de pères inconnus. De plus, elle avait deux sœurs dans la même situation (avec des enfants nés sans pères). Ce qui est étonnant c’est que les sœurs Calo n’étaient pas les seules dans cette situation. En effet, de nombreuses femmes avaient des enfants naturels Pourquoi ? Y avait-il une garnison militaire dans la région ? Des mœurs particulières à la région ? Il faudrait mener une enquête… J’ai alors effectué des recherches sur les frères et sœurs de mon aïeul. C’est ainsi que j’ai fait une découverte étonnante. Jacques, le frère de mon aïeul Roch, n’a pas fait son service militaire. En effet, sur sa fiche de matricule, il est noté « exclus pour cause d’indignité ».  Ma curiosité, piquée au vif,  allait m’emmener vers des contrées lointaines et inconnues.

Extrait de la fiche militaire de Jacques Calo
Extrait de la fiche militaire de Jacques Calo – Source AD du Morbihan

Jacques Calo : une enfance difficile

Extrait du recensement de Noyal-Muzillac
Extrait du recensement de Noyal-Muzillac – Source AD du Morbihan

Jacques a eu une enfance difficile comme la plupart des gens de conditions modestes à l’époque. Sa mère ayant 6 bouches à nourrir, ses enfants ont été placé très jeunes dans des fermes pour y travailler. Ainsi, à peine âgé de 14 ans, on retrouve Jacques dans le recensement de Noyal-Muzillac. Il y travaillait comme pâtre dans une ferme.

Cet article de presse qui a tout changé

Mais ce n’est pas là que j’ai trouvé la réponse à ma question. Pourquoi Jacques n’a-t-il pas fait son service militaire ? Qu’avait-il fait de si grave pour être exclu « pour cause d’indignité » ?

A défaut de réponse sur les documents militaires ou d’état civil, j’ai tenté ma chance sur un moteur de recherche. En tapant Jacques Calo, je n’avais pas trop d’espoir de trouver quelque chose après 140 ans.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai découvert des articles de presse datant de 1887. Au début j’ai cru à un homonyme, mon aïeul ne pouvait pas être si « célèbre ». Mais en lisant cet article, je me suis aperçu que c’était le bon Jacques Calo. J’allais découvrir une histoire incroyable.

En effet, comme vous pouvez le voir dans cet article, Jacques a commis un vol suivi d’un incendie chez son ancien employeur. Ce qui est incroyable c’est que je n’étais pas au bout de mes découvertes.

Article de presse relatant l'affaire Jacques Calo
Article de presse relatant l’affaire Jacques Calo – Source journal « le phare de Bretagne » du 19 juin 1887

Début du voyage sur les traces de Jacques Calo

Toujours friande de nouvelles découvertes, je me suis lancée sur les traces de Jacques. Je me suis d’abord renseignée auprès des archives départementales du Morbihan. Je voulais savoir s’ils avaient encore le dossier judiciaire de cette affaire. Après une réponse positive, nous sommes partis en famille sur les pas de la famille Calo.

Maison de la famille Calo à Allaire dans le Morbihan
Maison de la famille Calo à Allaire dans le Morbihan Source personnelle

Notre périple a commencé à Allaire où nous avons retrouvé le village et la maison de la famille Calo. Cette maison est dans un triste état mais toujours debout, après un tour au cimetière et un déjeuner dans le bourg d’Allaire, notre voyage s’est poursuivi à Vannes aux archives départementales.  

Heureusement j’étais accompagnée de ma fille Faustine. Nous nous sommes retrouvées à éplucher un dossier judiciaire de 122 pages.

Vous pouvez voir ici, un extrait de l’interrogatoire de Jacques par le président de la cour d’assise, assisté de son greffier.

Extraits du dossier judiciaire de Jacques Calo
Extraits du dossier judiciaire de Jacques Calo

Extraits du dossier judiciaire de Jacques Calo – Source AD du Morbihan

À la suite de ce procès, et grâce à l’excellente défense de son avocat, Jacques n’a été condamné qu’à  5 ans de bagne et envoyé à celui de Nouméa en Nouvelle-Calédonie.

Jacques au bagne

Pour trouver le dossier de dépôt des condamnés aux travaux forcés de Jacques, j’ai dû contacter les ANOM (Archives Nationales d’ Outre-Mer http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/). C’est grâce à eux que j’ai découvert les détails de sa détention.

Dossier J. Calo au bagne de Nouvelle-Calédonie – Source ANOM

D’après son dossier de détenu, j’en ai appris un peu plus sur lui notamment sa description physique puisque je n’ai aucune photo de lui : Jacques mesurait 1m64. Il avait les cheveux châtains clairs, le front bombé, les yeux gris, le nez aquilin, la bouche grande, le menton pointu et enfin le visage allongé et coloré parsemé de tâches de rousseurs.  D’après ce même dossier, nous apprenons également qu’il a été écroué à la suite du verdict le 25 juin 1887, avant d’embarquer 6 mois plus tard, à bord du Magellan, pour la Nouvelle-Calédonie le 6 décembre 1887.

Dans le dossier des archives du bagne, nous apprenons que Jacques avait un comportement exemplaire mais qu’il était illettré. Sur place, il a appris le métier d’effilocheur (personne chargée d’effilocher des déchets de laine ou chiffons destinés à faire du papier).

Qu’est devenu Jacques ?

Mais qu’est-il devenu après ses 5 ans de détention. Jacques a-t-il réussi à se réinsérer, est-il rentré dans le Morbihan ? Je me suis donc intéressé à la suite de son parcours et elle va s’avérer encore plus difficile à découvrir.

J’ai tout d’abord appris que pour les condamnations inférieures à 10 ans, les bagnards devaient doubler leur peine. Ainsi, cette double peine oblige « les transportés » terme en usage à l’époque,  à demeurer en Nouvelle-Calédonie, après leur libération, pour une durée égale à leur condamnation. Une fois la peine initiale effectuée, l’administration pénitentiaire installait les forçats sur des concessions agricoles. Ces concessions se trouvaient dans les villages de Bourail, Farino, La Foa, le Diahot ou encore Pouembout. Malgré la misère et la ségrégation sociale, ils fondent souvent une famille en épousant des femmes du peuple autochtone, les kanaks. Le but colonialiste de cette mesure ne fait aucun doute. En effet, celle-ci a été instaurée afin d’occidentaliser ces lointaines colonies et y créer une sorte de patriotisme par rapport à la métropole. A présent, une bonne  partie de la population actuelle descend de ces mariages mixtes.

photo bagne
Photo du bagne de Nouvelle-Calédonie par le photographe Allan Hughan

En 1922, l’administration pénitentiaire clôt définitivement ses derniers centres de détention d’outre-mer. C’est ainsi que neuf ans plus tard, la Nouvelle-Calédonie cesse, par décret, d’être une « terre de bagne ».

Où est passé Jacques à la sortie du bagne ?

À la suite de cette découverte, j’apprenais donc que mon aïeul avait été obligé de rester en Nouvelle-Calédonie jusqu’en 1897. Vu son statut de journalier avant sa condamnation, il est fort probable qu’on lui ait octroyé une concession et donc une terre à cultiver.

Mes recherches ont donc continué sur l’état civil de Nouvelle-Calédonie. J’ai épluché en vain les listes de mariages, baptêmes et même décès de toutes les communes. Je suis revenue vers le Morbihan et rien non plus de ce côté-là.

D’après des historiens que j’ai contactés par la suite, il y a très peu de chance que Jacques soit revenu en métropole. En effet, il n’avait pas les moyens financiers de se payer le voyage de retour et l’état français ne prenait pas en charge le rapatriement à la fin de leur peine.

Lorsqu’on était condamné au bagne, on avait peu de chance d’en revenir, à moins de gagner sa liberté sur place, à la force de ses bras, une fois libéré.

Appel à l’aide, solidarité généalogique

Pour continuer mes recherches, j’ai contacté une association généalogique celtique à Nouméa. Cette association vient en aide aux familles des personnes parties de Bretagne pour être transportées au bagne de Nouvelle-Calédonie. Après de longues recherches, cette association n’a rien trouvé à Nouméa sur Jacques Calo. Aucune trace de lui, il ne s’y est pas marié, n’a pas eu d’enfants… Je repartais donc de zéro et le monde est vaste. En effet, il aurait pu monter dans n’importe quel bateau pour quitter la Nouvelle-Calédonie en travaillant pour payer sa traversée… mais vers quel contrée ?

N’aillant plus de solutions administratives concrètes et ne pouvant me rendre là-bas, je décidais de jeter une bouteille à la mer. Ainsi, sur une page d’un célèbre réseau social, spécialisée dans l’entraide généalogique j’ai posté une annonce. Certains m’ont donné des pistes que j’avais déjà explorées en vain.

Cependant une réponse a attiré mon attention. Après un an de recherches, j’avais, peut-être, une piste.

Enfin une piste

En effet, une dame m’a dit avoir trouvé sur ce réseau social un compte au nom de Jean-Jacques Calo vivant à Nouméa. Calo étant un nom assez rare, j’en déduisais que je tenais peut-être une piste. J’ai contacté ce Jean-Jacques sans trop d’espoir de recevoir une réponse. Quelle ne fut pas ma surprise quand ce jeune homme m’a recontactée. Il habite à Nouméa mais est originaire du Vanuatu (île voisine de la Nouvelle-Calédonie) et il a un ancêtre qui s’appelle Jacques Calo. Évidemment, il était étonné que j’ai réussi à remonter jusqu’à lui et admiratif du travail effectué pour retrouver cet ancêtre perdu.

Carte
Carte de Nouvelle-Calédonie et du Vanuatu – Source personnelle

Pour expliquer la situation du Vanuatu à la fin du 19ème siècle, il faut comprendre que l’île faisait l’objet d’un conflit d’intérêt entre la France et le Royaume-Uni. En effet, chacun se disputait l’archipel pour le coloniser.

Les transportés de Nouvelle-Calédonie en fin de peine constituaient une aubaine pour trouver des colons rapidement et pas trop éloignés. A partir de 1906, le Vanuatu sera géré conjointement par les deux puissances coloniales. Ainsi le Vanuatu deviendra le « condominium des Nouvelles-Hébrides » jusqu’en 1980, année où l’île acquière son indépendance.

De Jacques à Jean-Jacques

Pour revenir à Jean-Jacques Calo, ce lointain cousin ultramarin, il m’a proposé d’effectuer des recherches de son côté au mémorial du bagne pour connaître le fin mot de l’histoire. Sachant qu’il avait un ancêtre s’appelant Jacques calo et de type caucasien, mon contact lui a permis de connaitre son pays d’origine. A deux, notre enquête avance et je pourrai bientôt faire la généalogie complète de cette famille de l’autre bout du monde.

Voilà comment un simple article de presse m’a conduite à l’autre côté de la terre à la recherche d’un ancêtre perdu. La presse peut parfois être porteuse de bonnes nouvelles, même si l’origine de cet article est l’histoire malheureuse d’un jeune garçon sans le sou qui avait choisi le mauvais chemin. La généalogie est un voyage, j’espère qu’un jour je ferai ce voyage pour rencontrer ces cousins du bout du monde.

Cet article a 8 commentaires

  1. Régis Coudret

    Pour quelqu’un dont la quasi-totalité des aïeux est dans un rayon de 20 kms, c’est pas banal comme histoire. C’est même magnifique ! J’admire aussi votre persévérance à effectuer cette recherche et à mobiliser autour de vous. Bravo et joyeux Noël !

  2. Noëline Visse

    Cet article est une véritable aventure 😀. Tu auras peut être l’occasion de faire le voyage un jour 😉

  3. Dominique Lenglet

    Une très belle réussite, un conte de Noël ! ce doit etre émouvant de penser que vous avez un peu le même sang, Jean Jacques Calo et toi ! il faut garder le contact.

    1. Magali Charpentier

      Oui c’est une belle aventure et de pouvoir échanger avec un jeune homme qui a les mêmes origines est un cadeau vous avez raison nous allons garder contact.

  4. BRETEL René

    Merci pour ce travail de mémorisation du passé !
    Félicitations

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